ondulations
douces des collines de l'Isthme cachaient le rivage saronique, le Stade,
le sanctuaire des jeux, le port oriental de Kenkhrées. Mais on voyait,
entre les flancs fauves des monts Géraniens et le rose Hélicon à la
double cime, dormir la mer bleue des Alcyons. Au loin, vers le
septentrion, brillaient les trois sommets neigeux du Parnasse. Gallion et
Méla s'avancèrent jusqu'au bord de la haute terrasse. A leurs pieds
s'étendait Corinthe sur un vaste plateau de sable pâle, incliné
doucement vers les bords écumeux du golfe. Les dalles du forum, les
colonnes de la basilique, les gradins du cirque, les blancs degrés des
propylées étincelaient, et les faîtes dorés des temples jetaient des éclairs.
Vaste et neuve, la ville était coupée de rues droites. Une voie large
descendait jusqu'au port de Leckhée, bordé de magasins et couvert de
navires. A l'occident, la terre était offensée par la fumée des forges et
par les ruisseaux noirs des teintureries, et de ce côté, des forêts de pins,
s'étendant jusqu'à l'horizon, s'y confondaient avec le ciel.
Peu à peu la ville s'éveilla. Le hennissement aigre d'un cheval déchira
l'air matinal, et l'on commença d'entendre les bruits sourds des roues,
les cris des charretiers et le chant des vendeuses d'herbes. Sorties de
leurs masures à travers les décombres du palais de Sisyphe, de vieilles
femmes aveugles, portant sur la tête des urnes de cuivre, allaient,
conduites par des enfants, puiser de l'eau à la fontaine Pirène. Sur les
toits plats des maisons qui longeaient les jardins du proconsul, des
Corinthiennes étendaient du linge pour le faire sécher, et l'une d'elles
fouettait son enfant avec des tiges de poireaux. Dans le chemin creux
qui montait à l'Acropole, un vieillard demi-nu, couleur de bronze,
aiguillonnait la croupe d'un âne chargé de salades et chantait entre ses
dents ébréchées, dans sa barbe rude, une chanson d'esclave:
Travaille, petit âne, Comme j'ai travaillé. Et cela te profitera: Tu peux
en être sûr.
Cependant, au spectacle de la ville recommençant son labeur de chaque
jour, Gallion se prit à songer à cette première Corinthe, la belle
Ionienne, opulente et joyeuse, jusqu'au jour où elle vit ses citoyens
massacrés par les soldats de Mummius, ses femmes, les nobles filles de
Sisyphe, vendues à l'encan, ses palais, ses temples incendiés, ses murs
renversés et ses richesses entassées dans les liburnes du Consul.
--Il n'y a pas encore un siècle, dit-il, l'oeuvre de Mummius subsistait
tout entière. Ce rivage que tu vois, ô mon frère, était plus désert que les
sables de Libye. Le divin Julius releva la ville détruite par nos armes et
la peupla d'affranchis. Sur cette plage, où les illustres Bacchiades
avaient étalé leur fière indolence, des Latins pauvres et grossiers
s'établirent et Corinthe commença de renaître. Elle s'accrut rapidement
et sut tirer avantage de sa position. Elle perçoit un tribut sur tous les
navires qui, venus de l'orient ou de l'occident, mouillent dans ses deux
ports de Leckhée et de Kenkhrées. Son peuple et ses richesses ne
cessent de s'accroître à la faveur de la paix romaine.
»Que de bienfaits l'Empire n'a-t-il pas répandus sur le monde! Par lui
les villes, les campagnes goûtent un calme profond. Les mers sont
purgées de pirates et les routes de brigands. De l'océan brumeux au
golfe Permulique, de Gadès à l'Euphrate, le commerce des
marchandises se fait avec une sécurité que rien ne trouble. La loi
protège la vie et les biens de tous. Les droits de chacun sont mis hors
d'atteinte. La liberté n'a désormais pour limites que ses lignes de
défense et n'est bornée que pour sa sûreté. La justice et la raison
gouvernent l'univers.
Annaeus Méla n'avait pas, comme ses deux frères, brigué les honneurs.
Ceux qui l'aimaient, et ils étaient nombreux, car il se montrait, dans ses
manières, toujours affable et d'une extrême aménité, attribuaient cet
éloignement des affaires à la modération d'un esprit qu'attirait une
obscurité tranquille et qui n'eût voulu se donner d'autres soins que
l'étude de la philosophie. Mais des observateurs plus froids croyaient
s'apercevoir qu'il était ambitieux à sa manière et jaloux, à l'exemple de
Mécène, d'égaler, simple chevalier romain, le crédit des consulaires.
Enfin certains esprits malveillants croyaient discerner en lui l'avidité
des Sénèques pour ces richesses qu'ils affectaient de mépriser, et ils
s'expliquaient de cette manière que Méla eût longtemps vécu obscur en
Bétique, tout occupé de l'administration de ses vastes domaines, et
qu'appelé ensuite à Rome par son frère le philosophe, il s'y fût attaché à
la gestion des finances impériales plutôt que de rechercher de grands
emplois judiciaires ou militaires. On ne pouvait pas aisément décider
de son caractère sur ses discours parce qu'il tenait le langage des
stoïciens, aussi propre à cacher les faiblesses de l'âme qu'à révéler la
grandeur des sentiments. C'était alors une élégance que de venir
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