races humaines et s'il y a encore
moins plusieurs races blanches, on observe assurément dans notre
espèce des variétés distinctes et parfois très caractérisées. Dès lors, rien
d'impossible à ce que deux ou plusieurs de ces variétés vivent
longtemps côte à côte sans se fondre et gardent chacune ses caractères
particuliers. Et, parfois même, ces différences, au lieu de s'effacer avec
le temps sous l'action des forces plastiques de la nature, peuvent, au
contraire, sous l'empire de coutumes immuables et par la contrainte des
institutions sociales, s'accuser de siècle en siècle plus fortement.
--E proprio vero, murmura Boni, en posant le couvercle de chêne sur
l'enfant romuléen.
Puis il offrit des sièges à ses hôtes et dit à Nicole Langelier:
--Il faut maintenant tenir votre promesse et nous lire cette histoire de
Gallion, que je vous ai vu écrire dans votre petite chambre du Foro
Traiano. Vous y faites parler des Romains. C'est ici qu'il convient de
l'entendre, dans un coin du Forum, près de la voie Sacrée, entre le
Capitole et le Palatin. Hâtez-vous, pour n'être pas surpris par le
crépuscule et de peur que votre voix ne soit bientôt couverte par les cris
des oiseaux qui s'avertissent entre eux de l'approche de la nuit.
Les hôtes de Giacomo Boni accueillirent ces paroles d'un murmure
favorable et Nicole Langelier, sans attendre des prières plus pressantes,
déroula un manuscrit et lut ce qui suit.
II
GALLION
En la 804e année depuis la fondation de Rome et la 13e du principat de
Claudius César, Junius Annaeus Novatus était proconsul d'Achaïe. Issu
d'une famille équestre originaire d'Espagne, fils de Sénèque le Rhéteur
et de la vertueuse Helvia, frère d'Annaeus Méla et de ce célèbre Lucius
Annaeus, il portait le nom de son père adoptif, le rhéteur Gallion, exilé
par Tibère. Sa mère était du sang de Cicéron et il avait hérité de son
père, avec d'immenses richesses, l'amour des lettres et de la philosophie.
Il lisait les ouvrages des Grecs plus soigneusement encore que ceux des
Latins. Une noble inquiétude agitait son esprit. Il était curieux de la
physique et de ce qu'on ajoute à la physique. L'activité de son
intelligence était si vive, qu'il écoutait des lectures en prenant son bain
et qu'il portait sans cesse sur lui, même à la chasse, ses tablettes de cire
et son stylet. Dans les loisirs qu'il savait se ménager au milieu des soins
les plus graves et des plus vastes travaux, il écrivait des livres sur les
questions naturelles et composait des tragédies.
Ses clients et ses affranchis vantaient sa douceur. Il était en effet d'un
caractère bienveillant. On n'avait jamais vu qu'il s'abandonnât à la
colère. Il considérait la violence comme la pire des faiblesses et la
moins pardonnable.
Il avait en exécration toutes les cruautés, quand leur véritable caractère
ne lui échappait pas à la faveur d'un long usage et de l'opinion publique.
Et souvent même, dans les sévérités consacrées par la coutume des
aïeux et sanctifiées par les lois, il découvrait des excès détestables
contre lesquels il s'élevait et qu'il aurait tenté de détruire si on ne lui eût
opposé de toutes parts l'intérêt de l'État et le salut commun. A cette
époque les bons magistrats et les fonctionnaires honnêtes n'étaient pas
rares dans l'Empire. Il s'en trouvait certes d'aussi probes et d'aussi
équitables que Gallion, mais peut-être n'aurait-on pas rencontré dans un
autre autant d'humanité.
Chargé d'administrer cette Grèce dépouillée de ses richesses, déchue de
sa gloire, tombée de sa liberté agitée dans une tranquillité oisive, il se
rappelait qu'elle avait jadis enseigné au monde la sagesse et les arts et il
unissait, dans sa conduite envers elle, à la vigilance d'un tuteur la piété
d'un fils. Il respectait l'indépendance des villes et les droits des
personnes. Il honorait les hommes vraiment grecs de naissance et
d'éducation, malheureux seulement de n'en découvrir qu'un petit
nombre et d'exercer le plus souvent son autorité sur une multitude
infâme de Juifs et de Syriens, équitable toutefois envers ces asiatiques,
et s'en félicitant comme d'un vertueux effort.
Il résidait à Corinthe, la cité la plus riche et la plus peuplée de la Grèce
romaine. Sa villa, construite au temps d'Auguste, agrandie et embellie
depuis lors par les proconsuls qui s'étaient succédé dans le
gouvernement de la province, s'élevait sur les dernières pentes
occidentales de l'Acrocorinthe, dont le sommet chevelu portait le
temple de Vénus et les bosquets des hiérodules. C'était une maison
assez vaste qu'entouraient des jardins plantés d'arbres touffus, arrosés
d'eaux vives, ornés de statues, d'exèdres, de gymnases, de bains, de
bibliothèques, et d'autels consacrés aux dieux.
Il s'y promenait un matin, selon sa coutume, avec son frère Annaeus
Méla, conversant sur l'ordre de la nature et les vicissitudes de la fortune.
Dans le ciel rose le soleil se levait humide et candide. Les
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