l'aventure de la nymphe vivante et plaintive au fond du fleuve.
Et plus tard, les villageois de la Rome rustique, qui se penchaient, la
nuit, sur la berge, crurent la voir, à la clarté de la lune, dans ses voiles
glauques, sous les roseaux. Eh bien! les Romains ne la laissèrent point
oisive, à ses douleurs. La pensée leur vint tout de suite de lui donner
une occupation sérieuse. Ils lui confièrent la garde de leurs fontaines.
Ils en firent une déesse municipale. Ainsi de toutes leurs divinités. Les
Dioscures, dont le temple a laissé des ruines si belles, les Dioscures, les
deux frères d'Hélène, astres clairs, les Romains les employèrent comme
estafettes au service de l'État. Ce sont les Dioscures qui vinrent sur un
cheval blanc annoncer à Rome la victoire du lac Régille.
»Les Italiens ne demandaient à leurs dieux que des biens terrestres et
des avantages solides. A cet égard, en dépit des terreurs asiatiques qui
ont envahi l'Europe, leur sentiment religieux n'a pas changé. Ce qu'ils
exigeaient autrefois de leurs Dieux et de leurs Génies, ils l'attendent
aujourd'hui de la Madone et des saints. Chaque paroisse a son
bienheureux, qu'on charge de commissions, comme un député. Il y a
des saints pour la vigne, pour les céréales, pour les bestiaux, pour la
colique et pour le mal de dents. L'imagination latine a repeuplé le ciel
d'une multitude de figures animées, et fait du monothéisme juif un
nouveau polythéisme. Elle a égayé l'évangile d'une riche mythologie;
elle a rétabli un commerce familier entre le monde divin et le monde
terrestre. Les paysans exigent des miracles de leurs saints protecteurs et
les couvrent d'invectives si le miracle tarde à venir. Le paysan, qui avait
sollicité inutilement une faveur du Bambino, retourne à la chapelle et,
s'adressant cette fois à l'Incoronata:
»--Ce n'est pas à toi, fils de putain, que je parle, c'est à ta sainte mère.
»Les femmes intéressent la Madre di Dio à leurs amours. Elles pensent
avec raison qu'elle est femme, qu'elle sait ce que c'est et qu'on n'a pas à
se gêner avec elle. Elles n'ont jamais peur d'être indiscrètes, ce qui
prouve leur piété. C'est pourquoi il faut admirer la prière que faisait à la
Madone une belle fille de la Riviera de Gênes: «Sainte mère de Dieu,
vous qui avez conçu sans pécher, accordez-moi la grâce de pécher sans
concevoir.»
Nicole Langelier fit ensuite observer que la religion des Romains se
prêtait aux entreprises de leur politique.
--Empreinte d'un caractère fortement national, dit-il, elle était pourtant
capable de pénétrer les peuples étrangers et de les gagner par son esprit
sociable et tolérant. C'était une religion administrative, qui se
propageait sans peine avec le reste de l'administration.
--Les Romains aimaient la guerre, dit M. Goubin, qui évitait
soigneusement les paradoxes.
--Ils n'aimaient pas la guerre pour elle-même, répliqua Jean Boilly. Ils
étaient bien trop raisonnables pour cela. On retenait à certains indices
que le métier militaire leur paraissait dur. Monsieur Michel Bréal vous
dira que le mot qui d'abord signifiait proprement le fourniment du
soldat, aerumna, prit ensuite le sens général de fatigue, d'accablement,
de misère, de douleur, d'épreuve et de désastre. Ces paysans étaient
comme les autres. Ils ne marchaient que forcés et contraints. Et leurs
chefs eux-mêmes, les gros propriétaires, ne guerroyaient ni pour le
plaisir ni pour la gloire. Avant de se mettre en campagne, ils
consultaient vingt fois leur intérêt et pesaient attentivement leurs
chances.
--Sans doute, dit M. Goubin, mais leur condition et l'état du monde les
força d'être toujours en armes. C'est ainsi qu'ils portèrent la civilisation
jusqu'aux extrémités du monde connu. La guerre est un incomparable
instrument de progrès.
--Les Latins, reprit Jean Boilly, étaient des cultivateurs qui faisaient des
guerres de cultivateurs. Leurs ambitions furent toujours agricoles. Ils
exigeaient du vaincu, non de l'argent, mais de la terre, tout ou partie du
territoire de la confédération soumise, le plus souvent un tiers, par
amitié, comme ils disaient, et parce qu'ils étaient modérés Où le
légionnaire avait planté sa pique, le colon venait le lendemain pousser
sa charrue. C'est par le laboureur qu'ils assuraient leurs conquêtes.
Soldats admirables, sans doute, disciplinés, patients, courageux, qui se
battaient et se faisaient battre tout comme les autres! Paysans bien plus
admirables encore! Si l'on s'étonne qu'ils aient gagné tant de terres, il
faut s'étonner bien davantage qu'ils les aient gardées. Le prodige, c'est
qu'ayant perdu beaucoup de batailles, ils n'aient jamais cédé autant dire
un arpent de sol, ces obstinés paysans.
Tandis qu'ils disputaient ainsi, Giacomo Boni regardait d'un oeil hostile
la haute maison de briques qui se dresse au nord du Forum sur
plusieurs assises de substructions antiques.
--Nous devons maintenant, dit-il, explorer la curia Julia. Nous pourrons
bientôt, j'espère, renverser la bâtisse sordide qui en recouvre les restes.
Il n'en coûtera
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