là qu'elles sont condamnées à périr ou par nos mains, ou par le mal que tu leur as donné. éloigne-toi, à moins que tes yeux cruels ne se plaisent à des spectacles de mort?: éloigne toi?; va, et puissent les mers coupables qui t'ont épargné dans ton voyage, s'absoudre, et nous venger en t'engloutissant avant ton retour?! Et vous, Tahitiens, rentrez dans vos cabanes, rentrez tous?; et que ces indignes étrangers n'entendent à leur départ que le flot qui mugit, et ne voient que l'écume dont sa fureur blanchit une rive déserte?!?? à peine eut-il achevé, que la foule des habitants disparut?: un vaste silence régna dans toute l'étendue de l'?le?; et l'on n'entendit que le sifflement aigu des vents et le bruit sourd des eaux sur toute la longueur de la c?te?: on e?t dit que l'air et la mer, sensibles à la voix du vieillard, se disposaient à lui obéir.
B. Eh bien?! qu'en pensez-vous??
A. Ce discours me para?t véhément?; mais à travers je ne sais quoi d'abrupt et de sauvage, il me semble retrouver des idées et des tournures européennes.
B. Pensez donc que c'est une traduction du tahitien en espagnol, et de l'espagnol en fran?ais. Le vieillard s'était rendu, la nuit, chez cet Orou qu'il a interpellé, et dans la case duquel l'usage de la langue espagnole s'était conservé de temps immémorial. Orou avait écrit en espagnol la harangue du vieillard?; et Bougainville en avait une copie à la main, tandis que le Tahitien la pronon?ait.
A. Je ne vois que trop à présent pourquoi Bougainville a supprimé ce fragment?; mais ce n'est pas là tout?; et ma curiosité pour le reste n'est pas légère.
B. Ce qui suit, peut-être, vous intéressera moins.
A. N'importe.
B. C'est un entretien de l'aum?nier de l'équipage avec un habitant de l'?le.
A. Orou??
B. Lui-même. Lorsque le vaisseau de Bougainville approcha de Tahiti, un nombre infini d'arbres creusés furent lancés sur les eaux?; en un instant son batiment en fut environné?; de quelque c?té qu'il tournat ses regards, il voyait des démonstrations de surprise et de bienveillance. On lui jetait des provisions?; on lui tendait les bras?; on s'attachait à des cordes?; on gravissait contre les planches?; on avait rempli sa chaloupe?; on criait vers le rivage, d'où les cris étaient répondus?; les habitants de l'?le accouraient?; les voilà tous à terre?: on s'empare des hommes de l'équipage?; on se les partage?; chacun conduit le sien dans sa cabane?: les hommes les tenaient embrassés par le milieu du corps?; les femmes leur flattaient les joues de leurs mains. Placez-vous là?; soyez témoin, par pensée, de ce spectacle d'hospitalité?; et dites-moi comment vous trouvez l'espèce humaine.
A. Très belle.
B. Mais j'oublierais peut-être de vous parler d'un événement assez singulier. Cette scène de bienveillance et d'humanité fut troublée tout à coup par les cris d'un homme qui appelait à son secours?; c'était le domestique d'un des officiers de Bougainville. De jeunes Tahitiens s'étaient jetés sur lui, l'avaient étendu par terre, le déshabillaient et se disposaient à lui faire la civilité.
A. Quoi?! ces peuples si simples, ces sauvages si bons, si honnêtes??...
B. Vous vous trompez?; ce domestique était une femme déguisée en homme. Ignorée de l'équipage entier, pendant tout le temps d'une longue traversée, les Tahitiens devinèrent son sexe au premier coup d'oeil. Elle était née en Bourgogne?; elle s'appelait Barré?; ni laide, ni jolie, agée de vingt-six ans. Elle n'était jamais sortie de son hameau?; et sa première pensée de voyager fut de faire le tour du globe?; elle montra toujours de la sagesse et du courage.
A. Ces frêles machines-là renferment quelquefois des ames bien fortes.
CHAPITRE III - L'ENTRETIEN DE L'AUMONIER ET D'OROU --------------------------------------------------
B. Dans la division que les Tahitiens se firent de l'équipage de Bougainville, l'aum?nier devint le partage d'Orou. L'aum?nier et le Tahitien étaient à peu près du même age, trente-cinq à trente-six ans. Orou n'avait alors que sa femme et trois filles appelées Asto, Palli et Thia. Elles le déshabillèrent, lui lavèrent le visage, les mains et les pieds, et lui servirent un repas sain et frugal. Lorsqu'il fut sur le point de se coucher, Orou, qui s'était absenté avec sa famille, reparut, lui présenta sa femme et ses trois filles nues, et lui dit?:
-- Tu as soupé, tu es jeune, tu te portes bien?; si tu dors seul, tu dormiras mal?; l'homme a besoin la nuit d'une compagne à son c?té. Voilà ma femme, voilà mes filles?: choisis celle qui te convient?; mais si tu veux m'obliger, tu donneras la préférence à la plus jeune de mes filles qui n'a point encore eu d'enfants.
La mère ajouta?: -- Hélas?! je n'ai pas à m'en plaindre?; la pauvre Thia?! ce n'est pas sa faute.
L'aum?nier répondit?: Que sa religion, son état, les bonnes moeurs et l'honnêteté ne lui permettaient pas d'accepter ces offres.
Orou répliqua?: -- Je ne sais ce
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