Stello | Page 5

Alfred de Vigny
sang-froid dans son bonheur, qui lui semblait tout simplement le plus grand qui f?t au monde. Elle ne pensait pas une fois dans la journ��e ni �� la veille ni au lendemain, ne s'informait jamais des ma?tresses qui l'avaient pr��c��d��e, n'avait pas l'ombre de jalousie ni de m��lancolie, prenait le Roi quand il venait, et, le reste du temps, se faisait poudrer, friser et ��pingler, en racine droite, en frimas et en repentirs; se regardait, se pommadait, se faisait la grimace dans la glace, se tirait la langue, se souriait, se pin?ait les l��vres, piquait les doigts de sa femme de chambre, la br?lait avec le fer �� papillotes, lui mettait du rouge sur le nez et des mouches sur l'oeil; courait dans sa chambre, tournait sur elle-m��me jusqu'�� ce que sa pirouette e?t fait gonfler sa robe comme un ballon, et s'asseyait au milieu en riant �� se rouler par terre. Quelquefois (les jours d'��tude), elle s'exer?ait �� danser le menuet avec une robe �� paniers et �� longue queue, sans tourner le dos au fauteuil du Roi, mais c'��tait l�� la plus grave de ses m��ditations et le calcul le plus profond de sa vie; et, par impatience, elle d��chirait de ses mains la longue robe moir��e qu'elle avait eu tant de peine �� faire circuler dans l'appartement. Pour se consoler de ce travail, elle se faisait peindre au pastel, en robe de soie bleue ou rose, avec des pompons �� tous les noeuds du corset, des ailes au dos, un carquois sur l'��paule et un papillon noy�� dans la poudre de ses cheveux: on nommait cela: Psych�� ou Diane chasseresse, et c'��tait fort de mode.
En ses moments de repos ou de langueur, mademoiselle de Coulanges avait des yeux d'une douceur incomparable! ils ��taient tous les deux aussi beaux l'un que l'autre, quoi qu'en ait dit M. l'abb�� de Voisenon dans des M��moires in��dits venus �� ma connaissance: M. l'abb�� n'a pas eu honte de soutenir que l'oeil droit ��tait un peu plus haut que l'oeil gauche, et il a fait l��-dessus deux madrigaux fort malicieux, vertement relev��s, il est vrai, par M. le premier pr��sident. Mais il est temps, dans ce si��cle de justice et de bonne foi, de montrer la v��rit�� dans toute sa puret��, et de r��parer le mal qu'une basse envie avait fait. Oui, mademoiselle de Coulanges avait deux yeux et deux yeux parfaitement ��gaux en douceur; ils ��taient fendus en amande, et bord��s de paupi��res blondes tr��s longues; ces paupi��res formaient une petite ombre sur ses joues; ses joues ��taient roses sans rouge; ses l��vres ��taient rouges sans corail; son cou ��tait blanc et bleu, sans bleu et sans blanc; sa taille, faite en gu��pe, ��tait �� tenir dans la main d'une fille de douze ans, et son corps d'acier n'��tait presque pas serr��, puisqu'il y avait place pour la tige d'un gros bouquet qui s'y tenait tout droit. Ah! mon Dieu! que ses mains ��taient blanches et potel��es! Ah! ciel! que ses bras ��taient arrondis jusqu'aux coudes! ces petits coudes ��taient entour��s de dentelles pendantes, et son ��paule fort serr��e par une petite manche collante. Ah! que tout cela ��tait donc joli! Et, cependant, le Roi dormait.
Les deux jolis yeux ��taient ouverts tous deux, puis se fermaient longtemps sur le livre (c'��tait les Mariages samnit��s de Marmontel, livre traduit dans toutes les langues, comme l'assure l'auteur). Les deux beaux yeux se fermaient donc fort longtemps de suite, et puis se rouvraient languissamment en se portant sur la douce lumi��re bleue de la chambre; les paupi��res ��taient l��g��rement gonfl��es et plus l��g��rement teintes de rose, soit sommeil, soit fatigue d'avoir lu au moins trois pages de suite; car, de larmes, on sait que mademoiselle de Coulanges n'en versa qu'une dans sa vie, ce fut quand sa chatte Zulm�� re?ut un coup de pied de de brutal M. Dorat de Cubi��res, vrai dragon s'il en f?t, qui ne mettait jamais de mouches sur ses joues, tant il ��tait soldatesque, et frappait tous les meubles avec son ��p��e d'acier, au lieu de porter une excuse �� lame de baleine.

CHAPITRE V
INTERRUPTION
"H��las! s'��cria douloureusement Stello, d'o�� vient le langage que vous prenez, cher Docteur? Vous partez quelquefois du dernier mot de chaque phrase pour grimper �� un autre, comme un invalide monte un escalier avec deux jambes de bois.
--D'abord, cela vient de la fadeur du si��cle de Louis XV, qui alanguit mes paroles malgr�� moi; ensuite, c'est que j'ai la manie de faire du style pour me mettre bien dans l'esprit de quelques-uns de vos amis.
--Ah! ne vous y fiez pas, dit Stello en soupirant; car il y en a un, qui n'est pas pr��cis��ment le plus sot de tous, qui a dit un soir: "Je ne suis pas toujours de mon opinion." Parlez donc simplement, ?
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