Stello | Page 4

Alfred de Vigny
bras arrondis, coupant les ailes �� des Amours sortis d'une petite cage!--des cages! des cages! des arcs, des carquois, oh! de jolis petits carquois! Multipliez les lacs d'amour, les coeurs enflamm��s et les temples �� colonnes de bois de senteur!--Oh! du musc, s'il se peut, n'��pargnez pas le musc du bon temps! Oh! le bon temps! veuillez bien m'en donner, m'en verser dans le sablier pour un quart d'heure, pour dix minutes, pour cinq minutes, s'il ne se peut davantage! S'il fut jamais un bon temps, faites-m'en voir quelques grains, car je suis horriblement las, comme vous le savez, de tout ce que l'on me dit, et de tout ce que l'on m'��crit, et de tout ce que l'on me fait, et de tout ce que je dis, et de ce que j'��cris et de ce que je fais, et surtout des ��num��rations rabelai- siennes, comme je viens d'en faire une �� l'instant m��me o�� je parle.
--Cela pourra s'arranger avec ce que j'ai �� vous dire, r��pondit le Docteur en cherchant au plafond, comme s'il e?t suivi le vol d'une mouche.
--H��las! dit Stello, je sais trop que vous prenez lestement votre parti sur l'ennui que vous donnez aux autres."
Et il se tourna le visage contre le mur.
Nonobstant cette parole et cette attitude, le Docteur commen?a avec une honn��te confiance en lui-m��me.

CHAPITRE IV
HISTOIRE D'UNE PUCE ENRAG��E
C'��tait �� Trianon; mademoiselle de Coulanges ��tait couch��e, apr��s d?ner, sur un sofa de tapisseries, la t��te du c?t�� de la chemin��e et les pieds du c?t�� de la fen��tre; et le roi Louis XV ��tait couch�� sur un autre sofa, pr��cis��ment en face d'elle, les pieds du c?t�� de la chemin��e, et tournant le dos �� la fen��tre; tous deux en grande toilette des pieds �� la t��te: lui en talons rouges et bas de soie, elle en souliers �� talons et bas brod��s en or; lui en habit de velours bleu de ciel, elle en paniers sous une robe damass��e rose; lui poudr�� et fris��, elle fris��e et poudr��e; lui tenant un livre �� la main en dormant, elle tenant un livre et baillant.
(Ici Stello fut honteux d'��tre couch�� sur son canap��, et se tint assis.)
Le soleil entrait de toutes parts dans la chambre, car il n'��tait que trois heures de l'apr��s-midi, et ses larges rayons ��taient bleus, parce qu'ils traversaient de grands rideaux de soie de cette couleur. Il y avait quatre fen��tres tr��s hautes et quatre rayons tr��s longs; chacun de ces rayons formait comme une ��chelle de Jacob, dans laquelle tour- billonnaient des grains de poussi��re dor��e, qui ressemblaient �� des myriades d'esprits c��lestes montant et descendant avec une rapidit�� incalculable, sans que le moindre courant d'air se f?t sentir dans l'appartement le mieux tapiss�� et le mieux rembourr�� qui f?t jamais. La plus haute pointe de l'��chelle de chaque rayon bleu ��tait appuy��e sur les franges du rideau, et la large base tombait sur la chemin��e. La chemin��e ��tait remplie d'un grand feu, ce grand feu ��tait appuy�� sur de gros chenets de cuivre dor��, repr��sentant Pygmalion et Ganym��de; et Ganym��de, Pygmalion, les gros chenets et le grand feu brillaient et ��tincelaient de flammes toutes rouges dans l'atmosph��re c��leste des beaux rayons bleus.
Mademoiselle de Coulanges ��tait la plus jolie, la plus faible, la plus tendre et la moins connue des amies intimes du Roi. C'��tait un corps d��licieux que mademoiselle de Coulanges. Je ne vous assurerai pas qu'elle ait jamais eu une ame, parce que je n'ai rien vu qui puisse m'autoriser �� l'affirmer; et c'��tait justement pour cela que son ma?tre l'aimait.--A quoi bon, je vous prie, une ame �� Trianon? --Pour s'entendre parler de remords, de principes d'��ducation, de religion, de sacrifices, de regrets de famille, de craintes sur l'avenir, de haine du monde, de m��pris de soi-m��me, etc., etc., etc.? Litanies des saintes du beau Parc-aux-Cerfs, que l'heureux prince savait d'avance, et auxquelles il aurait r��pondu par le verset suivant, tout couramment. Jamais on ne lui avait dit autre chose en commen?ant, et il en avait assez, sachant que la fin ��tait toujours la m��me. Voyez quel fatigant dialogue: "Ah! Sire, croyez-vous que Dieu me pardonne jamais?--Eh! ma belle, cela n'est pas douteux: il est si bon!--Et moi, comment pourrais-je me pardonner?--Nous verrons �� arranger cela, mon enfant, vous ��tes si bonne!--Quel r��sultat de l'��ducation que je re?us �� Saint-Cyr! Toutes vos compagnes ont fait de beaux mariages, ma ch��re amie.--Ah! ma pauvre m��re en mourra!--Elle veut ��tre Marquise, elle sera Duchesse avec le tabouret.--Ah! Sire, que vous ��tes g��n��reux! Mais le ciel!--Il n'a jamais fait si beau que ce matin depuis le 1er juin."
Voil�� qui e?t ��t�� insupportable. Mais avec mademoiselle de Coulanges, rien de semblable: douceur parfaite... c'��tait la plus na?ve et la plus innocente des p��cheresses; elle avait un calme sans pareil, un imperturbable
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