Spiridion | Page 2

George Sand
âme basse et perverse! vous savez bien que vous
me cachez un secret formidable, et que votre conscience est un abîme
d'iniquité. Mais vous ne tromperez pas l'oeil de Dieu, vous
n'échapperez point à sa justice. Allez, retirez-vous de moi; je ne veux
plus entendre vos plaintes hypocrites. Jusqu'à ce que la contrition ait
touché votre coeur, et que vous ayez lavé par une pénitence sincère les
souillures de votre esprit, je vous défends d'approcher du tribunal de la
pénitence.
--O mon père! mon père! m'écriai-je, ne me repoussez pas ainsi, ne me
réduisez pas au désespoir, ne me faites pas douter de la bonté de Dieu
et de la sagesse de vos jugements. Je suis innocent devant le Seigneur;
ayez pitié de mes souffrances....

--Reptile audacieux! s'écria-t-il d'une voix tonnante, glorifie-toi de ton
parjure et invoque le nom du Seigneur pour appuyer tes faux serments;
mais laisse-moi, ôte-toi de devant mes yeux, ton endurcissement me
fait horreur!»
En parlant ainsi, il dégagea sa robe que je tenais dans mes mains
suppliantes. Je m'y attachai avec une sorte d'égarement; alors il me
repoussa de toute sa force, et je tombai la face contre terre. Il s'éloigna,
poussant violemment derrière lui la porte de la sacristie où cette scène
se passait. Je demeurai dans les ténèbres. Soit par la violence de ma
chute, soit par l'excès de mon chagrin, une veine se rompit dans ma
gorge, et j'eus une hémorragie. Je ne pus me relever, je me sentis
défaillir rapidement, et bientôt je fus étendu sans connaissance sur le
pavé baigné de mon sang.
Je ne sais combien de temps je passai ainsi. Quand je commençai à
revenir à moi, je sentis une fraîcheur agréable; une brise harmonieuse
semblait se jouer autour de moi, séchait la sueur de mon front et courait
dans ma chevelure, puis semblait s'éloigner avec un son vague,
imperceptible, murmurer je ne sais quelles notes faibles dans les coins
de la salle, et revenir sur moi comme pour me rendre des forces et
m'engager à me relever.
Cependant je ne pouvais m'y décider encore, car j'éprouvais un
bien-être inouï, et j'écoutais dans une sorte d'aberration paisible les
bruits de ce souffle d'été qui se glissait furtivement par la fente d'une
persienne. Alors il me sembla entendre une voix qui partait du fond de
la sacristie, et qui parlait si bas que je ne distinguais pas les paroles. Je
restai immobile et prêtai toute mon attention. La voix paraissait faire
une de ces prières entrecoupées que nous appelons oraisons jaculatoires.
Enfin je saisis distinctement ces mots: _Esprit de vérité, relève les
victimes de l'ignorance et de l'imposture_. «Père Hégésippe! dis-je d'un
ton faible, est-ce vous qui revenez vers moi?» Mais personne ne me
répondit. Je me soulevai sur mes mains et sur mes genoux, j'écoutai
encore, je n'entendis plus rien. Je me relevai tout a fait, je regardai
autour de moi; j'étais tombé si près de la porte unique de cette petite
salle, que personne après le départ de mon confesseur n'eût pu rentrer
sans marcher sur mon corps; d'ailleurs, cette porte ne s'ouvrait qu'en
dedans par un loquet de forme ancienne. J'y touchai, et je m'assurai
qu'il était fermé. Je fus pris de terreur, et je restai quelques instants sans

oser faire un pas. Adossé contre la porte, je cherchais à percer de mon
regard l'obscurité dans laquelle les angles de la salle étaient plongés.
Une lueur blafarde, tombant d'une lucarne à volet de plein chêne,
tremblait vers le milieu de cette pièce. Un faible vent, tourmentant le
volet, agrandissait et diminuait tour à tour la fente qui laissait pénétrer
cette rare lumière. Les objets qui se trouvaient dans cette région à demi
éclairée, le prie-Dieu surmonté d'une tête de mort, quelques livres épars
sur le plancher, une aube suspendue à la muraille, semblaient se
mouvoir avec l'ombre du feuillage que l'air agitait derrière la croisée.
Quand je crus voir que j'étais seul, j'eus honte de ma timidité: je fis un
signe de croix, et je m'apprêtai à aller ouvrir tout à fait le volet; mais un
profond soupir qui partait du prie-Dieu me retint cloué à ma place.
Cependant je voyais assez distinctement ce prie-Pieu pour être bien sur
qu'il n'y avait personne. Une idée que j'aurais dû concevoir plus tôt vint
me rassurer: quelqu'un pouvait être appuyé dehors contre la fenêtre, et
faire sa prière sans songer à moi. Mais qui donc pouvait être assez hardi
pour émettre des voeux et prononcer des paroles comme celles que
j'avais entendues?
La curiosité, seule passion et seule distraction permise dans le cloître,
s'empara de moi. Je m'avançai vers la fenêtre; mais à peine eus-je fait
un pas, qu'une ombre noire, se détachant, à ce qu'il me parut, du
prie-Dieu, traversa la salle en se dirigeant vers la fenêtre, et
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