pour la plupart, les pervers qu'on y plonge achèvent de se dépraver.
Quand on lit les Mémoires de Vidocq, on serait tenté de croire qu'il y a aux bagnes une classe de gens plus atroce que les condamnés qu'on y retient, que les réprouvés qui y vivent; ceux qui en vivent.
Un criminaliste trouvera dans ces Mémoires plus d'un sujet de grave méditation: loin d'en croire la publication dangereuse, je la tiens donc pour utile, pour salutaire même.
Mais en est-il ainsi des Mémoires dont j'ai parlé antérieurement? Est-il certain qu'ils convertiront tous les vicieux et ne corrompront aucun des innocens qui les liront? Caricature du Don Juan de Molière, le Comte de Tilly n'a voulu, en publiant ses Mémoires, que se faire législateur, ou tout au moins professeur en matière de rouerie. Comme son modèle, il est mort dans l'impénitence finale; point de pardon pour lui.
Moins odieuse, mais non moins vicieuse, la Phryné moderne a quelque analogie avec la Madeleine, mais non pas avec la Madeleine pénitente: elle est moins tourmentée du regret d'avoir commis tant de péchés que du regret de n'en pouvoir plus commettre, foute de complices; anathème aussi à son livre, mais indulgence pour celui de Vidocq. Les regrets de la Madeleine m'édifient peu; mais je ne suis pas moins sensible que Dieu aux remords du bon larron.
En général, les Mémoires dont on se fait l'objet sont plut?t un sujet de vaine curiosité que d'utile instruction pour le public, parce qu'il est rare qu'ils soient écrits de bonne foi, et que l'auteur ait l'importance qu'il s'attribue.
Mais lorsque l'histoire de l'historien se trouve liée à celle d'un homme qui, par sa position et par son caractère, a joué un grand r?le dans le monde, d'un homme qui, tel que Frédéric, Voltaire ou Napoléon, a exercé sur les destinées humaines une influence qui se perpétue après sa mort, c'est chose différente. Recommandable par l'objet, sinon par l'écrivain, ces Mémoires-là méritent d'occuper l'attention de quiconque tient à ne prononcer sur les grands hommes qu'en connaissance de cause, qu'après avoir recueilli toutes les dépositions et lu toutes les pièces relatives au procès qui s'instruit à l'occasion de leur apothéose, qu'après avoir entendu l'avocat du diable comme celui du saint.
Cela explique l'intérêt qu'ont excité tous les Mémoires relatifs à Napoléon, et particulièrement ceux de M. le duc de Rovigo, de M. de Bourrienne et de M. Constant; l'un ministre, l'autre secrétaire, et le dernier valet de chambre de cet homme prodigieux.
Ces écrivains ont vécu tous les trois dans l'intimité du grand homme, mais chacun d'eux lui porte des sentimens différens: le duc de Rovigo l'admire; M. de Bourrienne l'abhorre; M. Constant l'adore. Que de renseignemens curieux ne doivent pas renfermer des écrits dictés par des intérêts si divers à des hommes qui ont vu le même homme de si près, et l'ont envisagé sous des rapports si dissemblables!
écrits sans art, mais non pas sans talent, écrits avec la pointe d'une épée, les Mémoires du ministre de Napoléon sont une histoire complète de la vie politique et privée de ce prince, depuis sa campagne d'égypte jusqu'à son départ pour Sainte-Hélène. Il est difficile, en les lisant, de ne pas partager le sentiment qui règne dans ce livre, parce que ce sentiment y est continuellement justifié par l'exposition des principes qui dirigèrent Napoléon, et par les intentions qui l'ont jeté dans celles même des entreprises que la fortune s'est plue à réprouver, parce qu'il y est démontré que ces projets, qu'on attribuait à une ambition insatiable, n'étaient véritablement que la conséquence des positions périlleuses où la politique anglaise avait l'art de replacer son irréconciliable ennemi à l'instant même où il venait d'y échapper, et que c'est toujours à son corps défendant qu'il a repris les armes que les coalitions n'ont jamais posées que pour se ménager le temps de se refaire de leurs fatigues, de réunir de nouvelles ressources, de réparer leurs défaites et de tenter de nouveau la fortune dont ils espéraient lasser la rigueur.
Ces observations sont applicables aux causes qui amenèrent les deux guerres avec l'Autriche, et la guerre avec la Prusse ainsi que l'occupation de l'Espagne, et l'expédition de Russie, dans lesquelles Napoléon fut engagé presque malgré lui.
Les Mémoires du duc de Rovigo ne sont peut-être pas exempts d'erreurs; mais ils sont certes exempts de mensonge. On est d'autant plus fondé à le croire que les plus graves réclamations qu'ils ont excitées portent moins sur des faits controuvés que sur des faits avérés. La vérité n'est pas toujours bonne à dire.
La véracité domine dans ces Mémoires, tout empreints qu'ils sont de la plus vive reconnaissance. On n'en peut pas dire autant de ceux de M. de Bourrienne: c'est sous la dictée de l'envie et de la haine que ceux-là sont écrits; ces passions s'y manifestent dès les premiers chapitres. En retra?ant, non sans
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.