jours après le décès du monarque, se fit presque
furtivement le lendemain même de sa mort. Jetés dans un simple
carrosse de deuil, ses restes putréfiés furent traînés de nuit, au grand
galop, à la dernière demeure, à travers une populace muette, entre deux
colonnes de gardes du corps, et au milieu d'un groupe de pages qui, le
mouchoir sous le nez, se tenaient éloignés du cercueil le plus possible,
et polissonnaient avec leurs flambeaux. Je conçus dès lors que la mort
d'un roi pouvait bien ne pas être toujours une calamité publique.
Tout reprit bientôt dans Versailles le train accoutumé. Louis XVI revint
au bout de six semaines occuper l'appartement de Louis XV. Les
chasses recommencèrent; comme son prédécesseur, il passait pour aller
au tiré devant la porte de notre pension; comme son prédécesseur, il y
était accueilli par des Vive le roi! auxquels il ne faisait pas plus
d'attention que son prédécesseur. Le roi n'avait fait que rajeunir.
Je ne perdais pas tout-à-fait mon temps en pension; déjà je passais pour
posséder les élémens du latin, parce que je récitais mon rudiment, et
pour comprendre Cornelius Nepos, parce que je l'expliquais, quand, à
la sollicitation de ma mère, mon père me fit revenir à la maison pour y
continuer mes études sous la direction d'un précepteur.
L'abbé Louchart[6] ainsi se nommait celui dont il avait fait choix,
méritait sa confiance sous tous les rapports; il était instruit et possédait
l'art d'instruire. Quoique doux, il ne manquait pas de fermeté; il n'était
pas avare de ses soins. Il s'en faut de beaucoup pourtant que j'aie fait
des progrès avec lui. Entouré de distractions, dépourvu d'émulation,
j'avais pris l'étude, que j'aimais peu, dans un dégoût invincible. Quand
mon père était présent, je travaillais, mais mal; quand il était absent, je
ne travaillais pas du tout, et, fatigué de mon oisiveté, je faisais enrager,
pour me désennuyer, M. l'abbé; car tout précepteur portant alors le petit
collet et le manteau, c'était la livrée de la condition, prenait le titre
d'abbé. Après six mois d'essai, ma mère fut obligée de consentir à ce
qu'on me menât au collége.
Mais dans quel collége? Mon père avait été élevé chez les jésuites et
leur conservait quelque affection. À leur défaut, il voulait me confier
aux bénédictins, et me placer à l'école de Pontlevois. Effrayée de la
distance, ma mère proposa Juilly, collége dirigé par les oratoriens. Mon
père fit preuve d'une grande tendresse pour elle, en condescendant à ses
désirs, et en confiant mon éducation aux antagonistes des jésuites. Le
baiser qu'il me donna en me remettant aux mains de ces bons pères fut
celui d'un adieu qui devait être éternel. Un mois après il n'existait plus.
C'est le 16 février 1776 que j'entrai dans cette maison célèbre; c'est le
16 mars que je perdis mon père. Sa mort m'affligea profondément; je
l'ai long-temps pleurée. Le dommage qu'elle apportait à notre fortune
était considérable; mais c'est le seul que je n'appréciais pas.
Mon père se plaisait à jaser avec moi. Nos conversations n'ont pas été
sans résultat pour mon esprit; elles y ont jeté la semence de plusieurs
goûts qui ne m'ont pas encore quitté, tel surtout que celui des lettres et
de la poésie. C'est lui qui le premier m'a parlé de Voltaire, et le premier
qui, en m'en parlant, l'a qualifié du nom de grand homme.
CHAPITRE II.
Juilly.--Des oratoriens qui dirigeaient ce collége.--Le P. Petit, le P. Viel,
le P. Dotteville, le P. Mandar, le P. Prioleau, le P. Bailly, le P. Gaillard,
le P. Fouché (de Nantes), le P. Billaud (de Varennes), et autres.
Le collége de Juilly, où l'on ne recevait que des pensionnaires, se
composait à cette époque de trois cent soixante et quelques élèves, que
surveillaient, dirigeaient et instruisaient une trentaine d'oratoriens.
Pendant sept ans et demi que j'y suis resté, cette population s'est
renouvelée plus d'une fois en totalité. Je m'y suis trouvé ainsi en rapport
avec un millier de personnes au moins. Comme il en est un certain
nombre parmi elles qui depuis ont joué des rôles importans dans le
monde, les détails qui les concernent ne sont pas étrangers à l'histoire:
je ne crains donc pas d'y entrer.
À la tête de la maison était, avec le titre de supérieur, le P. Petit.
Administrateur habile, directeur prudent, esprit sans préjugés, sans
illusions, plus philosophe qu'il ne le croyait peut-être, indulgent et
malin tout à la fois, il conduisait avec des bons mots cette grande
maison, où il maintint pendant trente ans un ordre admirable, et
réunissant à l'autorité qu'il tenait de sa place celle que donne une raison
supérieure, il exerçait sur les instituteurs, comme sur les élèves, la
moins violente, mais la plus réelle des dictatures. Économe de cette
autorité, il n'entrait en communication
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