de m��diocres lois; sous un ciel plus rigoureux, la politique le perd, le d��porte en Sib��rie; il en revient avec des oeuvres durables, un grand renom, et l'assurance intime d'avoir ��t�� remis malgr�� lui dans sa voie. Le destin rit sur nos revers et nos r��ussites; il culbute nos combinaisons et nous dispense le bien ou le mal en raison inverse de notre raison. Quand on ��coute ce rire perp��tuel, dans l'histoire de chaque homme et de chaque jour, on se trouve niais de souhaiter quelque chose.
Pourtant l'��preuve ��tait cruelle, on le verra de reste en lisant les pages qui la racontent. Notre auteur feint d'avoir trouv�� ce r��cit dans les papiers d'un ancien d��port��, criminel de droit commun, qu'il nous repr��sente comme un repenti digne de toute indulgence. Plusieurs des personnages qu'il met en sc��ne appartiennent �� la m��me cat��gorie. C'��taient l�� des concessions oblig��es �� l'ombrageuse censure du temps; cette censure n'admettait pas qu'il y e?t des condamn��s politiques en Russie. Il faut tenir compte de cette fiction, il faut se souvenir en lisant que le narrateur et quelques-uns de ses cod��tenus sont des gens d'honneur, de haute ��ducation. Cette transposition, que le lecteur russe fait de lui-m��me, est indispensable pour rendre tout leur relief aux sentiments, aux contrastes des situations. Ce qui n'est pas un hommage �� la censure, mais un tour d'esprit particulier �� l'��crivain, c'est la r��signation, la s��r��nit��, parfois m��me le go?t de la souffrance avec lesquels il nous d��crit ses tortures. Pas un mot enfl�� ou fr��missant, pas une invective devant les atrocit��s physiques et morales o�� l'on attend que l'indignation ��clate; toujours le ton d'un fils soumis, chati�� par un p��re barbare, et qui murmure �� peine: ?C'est bien dur!? On appr��ciera ce qu'une telle contention ajoute d'��pouvante �� l'horreur des choses d��peintes.
Ah! il faudra bander ses nerfs et cuirasser son coeur pour achever quelques-unes de ces pages! Jamais plus apre r��alisme n'a travaill�� sur des sujets plus repoussants. Ressuscitez les pires visions de Dante, rappelez-vous, si vous avez pratiqu�� cette litt��rature, le Maleus maleficorum, les proc��s-verbaux de questions extraordinaires rapport��s par Llorente, vous serez encore mal pr��par�� �� la lecture de certains chapitres; n��anmoins, je conseille aux d��go?t��s d'avoir bon courage et d'attendre l'impression d'ensemble; ils seront ��tonn��s de trouver cette impression consolante, presque douce. Voici, je crois, le secret de cette apparente contradiction.
�� son entr��e au bagne, l'infortun�� se replie sur lui-m��me: du monde ignoble o�� il est pr��cipit��, il n'attend que d��sespoir et scandale. Mais peu �� peu, il regarde dans son ame et dans les ames qui l'entourent, avec la minutieuse patience d'un prisonnier. Il s'aper?oit que la fatigue physique est saine, que la souffrance morale est salutaire, qu'elle fait germer en lui d'humbles petites fleurs aux bons parfums, la semence de vertu qui ne levait pas au temps du bonheur. Surtout il examine de tr��s-pr��s ses grossiers compagnons; et voici que, sous les physionomies les plus sombres, un rayon transpara?t qui les embellit et les r��chauffe. C'est l'accoutumance d'un homme jet�� dans les t��n��bres: il apprend �� voir, et jouit vivement des pales clart��s reconquises. Chez toutes ces b��tes fauves qui l'effrayaient d'abord, il d��gage des parties humaines, et dans ces parties humaines des parcelles divines. Il se simplifie au contact de ces natures simples, il s'attache �� quelques-unes, il apprend d'elles �� supporter ses maux avec la soumission h��ro?que des humbles. Plus il avance dans son ��tude, plus il rencontre parmi ces malheureux d'excellents exemplaires de l'homme. L'horreur du supplice passe bient?t au second plan, adoucie et noy��e dans ce large courant de piti��, de fraternit��: que de bonnes choses ressuscit��es dans la maison des morts! Insensiblement, l'enfer se transforme et prend jour sur le ciel. Il semble que l'auteur ait pr��vu cette transformation morale, quand il disait au d��but de son r��cit, en d��crivant le pr��au de la forteresse: ?Par les fentes de la palissade, ... on aper?oit un petit coin de ciel, non plus de ce ciel qui est au-dessus de la prison, mais d'un autre ciel, lointain et libre.?
On comprend maintenant pourquoi cette douloureuse lecture laisse une impression consolante; beaucoup plus, je vous assure, que tels livres r��put��s tr��s-gais, qui font rire en maint endroit, et qu'on referme avec une incommensurable tristesse; car ceux-ci nous montrent, dans l'homme le plus heureux, une b��te d��sol��e et stupide, raval��e �� terre pour y jouir sans but. Dans un autre art, regardez le _Martyre de saint S��bastien_ et _l'Orgie romaine_ de Couture: quel est celui des deux tableaux qui vous attriste le plus? C'est que la joie et la peine ne r��sident pas dans les faits ext��rieurs, mais dans la disposition d'esprit de l'artiste qui les envisage; c'est qu'il n'y a qu'un seul malheur v��ritable, celui de manquer de foi et d'esp��rance. De ces tr��sors, Dosto?evsky
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