pour une vierge de Raphaël.
On sent bien que je ne pouvais quitter Florence sans aller au palais
Altoviti pour voir le beau portrait que Raphaël a fait de lui-même. Ce
portrait a été mis sous verre afin de le conserver, et cette précaution a
fait noircir les ombres, mais tous les clairs de la chair sont restés purs et
d'une belle couleur. Les traits du visage sont régulièrement beaux, les
yeux charmans, et le regard est bien celui d'un observateur.
Je ne négligeai pas de visiter la bibliothèque des Médicis, qui possède
les manuscrits les plus rares. Il s'y trouve d'anciens missels dont les
marges à gauche sont peintes dans la perfection; ces sujets saints sont
rendus en miniature avec des couleurs et un fini admirables.
Le jour que j'allai visiter la galerie où se trouvent les portraits des
peintres modernes peints par eux-mêmes, on me fit l'honneur de me
demander le mien pour la ville de Florence, et je promis de l'envoyer
quand je serais arrivée à Rome. Je remarquai avec un certain orgueil
dans cette galerie celui d'Angelica Kaufmann, une des gloires de notre
sexe.
Tout le temps de mon séjour à Florence fut un temps d'enchantement.
J'avais fait connaissance avec une dame française, la marquise de
Venturi, qui me comblait d'amitiés et d'obligeances. Les soirs, elle me
menait promener sur les bords de l'Arno, où arrivent, à une certaine
heure, une quantité de voitures élégantes et de beau monde, dont la
présence animait ce lieu charmant. Ces promenades et mes courses du
matin à la galerie Médicis, aux églises et aux palais de la ville, me
faisaient passer mes journées d'une manière ravissante; et si j'avais pu
ne point penser à cette pauvre France, j'aurais été alors la plus heureuse
des créatures.
CHAPITRE II.
Borne.--Saint-Pierre.--Le Muséum.--Drouais.--Raphaël.--Le
Vatican.--Le Colysée.--Angelica Kaufmann.--Le cardinal de
Bernis.--Usage romain.--Mes déménagemens.
Peu de jours après mon arrivée à Rome, j'écrivais à Robert le
paysagiste la lettre suivante:
Rome, 1er décembre 1789.
J'ai quitté avec peine, mon ami, cette belle ville de Florence où j'ai vu
très rapidement des chefs-d'oeuvre si remarquables, et que je me
promets bien de revoir avec plus de soin à mon retour de Rome.
Vous avez été témoin des gros soupirs que me faisaient pousser les
récits de tous ceux qui avaient eu le bonheur de séjourner ici. Vous
savez combien je désirais visiter à mon tour cette belle patrie des arts.
Je puis dire que j'avais pour Rome la maladie du pays. Mais, tant de
portraits que je me trouvais engagée à faire ne m'auraient pas permis de
réaliser mon désir, si, pour notre malheur à tous, la révolution n'était
pas venue me déterminer à quitter Paris, dont le charme était détruit
pour moi.
Vous savez, mon cher ami, qu'à quelque distance de Rome on découvre
déjà le dôme de Saint-Pierre? Il m'est impossible de vous dire la joie
que j'éprouvai lorsque je l'aperçus: je croyais rêver ce que j'avais
souhaité si long-temps en vain. Enfin je me trouvai sur le Ponte Mole;
je vous avouerai même tout bas qu'il m'a paru bien petit, et le Tibre si
chanté, bien sale. J'arrive à la porte del Popolo, je traverse la rue du
Cours, puis je m'arrête à l'Académie de France. Notre directeur, M.
Ménageot, vient à ma voiture; je lui demande l'hospitalité jusqu'à ce
que j'aie trouvé un logement, et voilà qu'il me donne aussitôt un petit
appartement où ma fille et sa gouvernante sont logées près de moi. De
plus, il me prête dix louis pour que je puisse achever de payer mon
voiturin; car il faut dire que je n'ai emporté avec moi que quatre-vingts
louis, mon cher mari gardant tout pour lui, comme vous savez qu'il
avait coutume de faire.
Le jour même de mon arrivée, M. Ménageot m'a menée avant tout à
Saint-Pierre, dont l'immensité, d'après l'idée que l'on m'en avait donnée,
ne m'a point frappée d'abord. J'attribue cet effet à la grandeur si bien
calculée de tous ses détails: par exemple, à l'aspect de ces deux
bénitiers de jaune antique, en forme de coquilles, que l'on voit en
entrant, les enfans de quatre ou cinq ans qui les entourent ont six pieds
de hauteur, et cette parfaite proportion diminue au premier coup d'oeil
la grandeur de l'église; quoi qu'il en soit, je n'ai su qu'en la parcourant à
quel point elle était vaste. Ayant dit à M. Ménageot que j'aurais préféré
la voir soutenue par des colonnes au lieu de ces énormes pilastres, il me
répondit qu'on l'avait bâtie d'abord comme je le désirais, mais que les
colonnes ne paraissant pas assez solides, on les avait entourées ainsi; il
m'a fait voir en effet depuis un tableau où Saint-Pierre est représentée
comme je voudrais qu'elle fût.
J'ai monté aussi l'escalier qui conduit à la
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