Souvenirs de Madame Louise-Élisabeth Vigée-Lebrun | Page 4

Louise-Elisabeth Vigée-Lebrun
chemin
s'étant élevé, je découvris Florence, située au fond d'une large vallée, ce
qui d'abord me parut triste; car j'aime beaucoup que l'on bâtisse sur les
hauteurs; mais sitôt que j'entrai dans la ville, je fus surprise et charmée
de sa beauté.

Après m'être installée dans l'hôtel qu'on m'avait indiqué, je débutai par
aller, avec ma fille et le vicomte de Lespignière, me promener sur une
montagne des environs, d'où l'on découvre une vue magnifique, et sur
laquelle se trouvent beaucoup de cyprès. Ma fille, en les regardant, me
dit: «Ces arbres-là invitent au silence.» Je fus si surprise qu'un enfant
de sept ans pût avoir une idée de ce genre, que je n'ai jamais oublié
cela.
Malgré le désir extrême que j'avais d'arriver à Rome, il m'était
impossible de ne pas séjourner un peu dans cette charmante ville. J'allai
voir avant tout la célèbre galerie que les Médicis ont enrichie avec tant
de magnificence. En entrant par le vestibule, on aperçoit d'abord une
quantité de tombeaux antiques[5]; et contre la porte, se trouve placée la
fameuse statue du Gladiateur. De ce vestibule, on entre dans la galerie
qui renferme tant de superbes statues. La Vénus de Médicis, les deux
Lutteurs, le Remouleur, un jeune Faune, le Satyre et le Bacchus de Jean
de Bologne, et la belle scène de la Niobé. Ces principales figures ornent
la salle de la tribune, qui est aussi décorée par plusieurs beaux tableaux,
dont trois sont de Raphaël, un d'André del Sarte, et d'autres de divers
grands maîtres. Dans une seconde salle, on voit en sculpture:
Euphrosine couchée, Alexandre mourant; en peinture: une Vénus du
Titien, un très beau Vanderveft, de superbes paysages de Salvator Rosa,
et cent autres chefs-d'oeuvre que je ne cite point; car il faudrait un
volume pour entrer dans quelques détails sur toutes les richesses que
j'eus le bonheur d'admirer dans ce lieu de délices pour un artiste.
J'allai le lendemain au palais Pitti, où, dans la première salle, je
distinguai surtout la Charité, peinte par le Guide, le portrait d'un
philosophe par Rembrandt, un tableau à la fois très fin et très vigoureux
de Carlo Dolce, une sainte famille de Louis Carrache, et la vision
d'Ézéchiel, admirable petit tableau de Raphaël. On y remarque aussi le
portrait d'une femme habillée en satin cramoisi, peint par le Titien avec
autant de vigueur que de vérité.
La seconde salle renferme quatre beaux tableaux du vieux Palme; et de
Rubens, un grand tableau allégorique, une Sainte Famille, ainsi que son
tableau des Philosophes, qui est superbe; le portrait d'un cardinal, peint

par Vandick, dont la belle couleur et la grande vérité sont remarquables.
C'est aussi dans cette salle que l'on voit la Madone à la Seggiola, Léon
X et Jules II, par Raphaël, trois chefs-d'oeuvre, si dignes de leur haute
renommée.
On trouve dans la troisième salle un grand et beau tableau d'André del
Sarte représentant la Vierge, Jésus et saint Jérôme; Paul III, du Titien,
admirable de vérité; un tableau allégorique, deux paysages, et la
fameuse fête de village, par Rubens; enfin, une Sainte Famille assise
sur des ruines, magnifique tableau de Raphaël.
Dans le jardin du palais Pitti, au-dessus d'un bassin qui a vingt pieds de
diamètre, on voit une statue colossale de Neptune, et trois Fleuves qui
versent de l'eau en abondance; toutes ces figures, d'une très belle
composition, sont de Jean de Bologne.
Dès que je pus m'arracher à la jouissance de parcourir la galerie des
Médicis et le palais Pitti; j'allai voir les autres beautés que renferme
Florence. D'abord, les portes du baptistère de Guilberti, dont les sujets,
en dix compartimens, sont d'une composition admirable. Ces sujets
sont pris dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Le relief des figures,
le style des draperies, les accessoires, arbres, fabriques, tout est d'une
exécution si parfaite, qu'on pourrait en faire des tableaux, car il n'y
manque que la couleur; aussi Michel-Ange les nommait-il les portes du
paradis.
À l'église de Saint-Laurent, je m'arrêtai long-temps dans la chapelle des
Médicis, dont plusieurs tombeaux ont été exécutés d'après les dessins
de Michel-Ange. On ne peut rien voir de plus beau que ces tombeaux.
Quelques-uns sont en granit oriental, d'autres en granit égyptien. Dans
des niches en marbre noir on a placé des statues en bronze doré. C'est
dans l'église Santa-Croce que se trouve le mausolée de Michel-Ange.
Là, il faut se prosterner.
Je suis montée au cloître de l'Annonciate, peint par André del Sarte.
Ces diverses compositions sont d'un style simple, qui convient au sujet,
et qui tient même de l'antique. Les figures pleines d'expression et de
vérité sont d'une excellente couleur. Il est bien malheureux que l'on

n'ait pas soigné ces chefs-d'oeuvre, qui auraient suffi à la réputation de
ce grand peintre. La Vierge, nommée la Madona del Sacco, est divine.
On la prendrait
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 81
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.