Sous le burnous | Page 9

Hector France
et des mois et des années entières. Cré tonnerre! Eh bien! mais alors... et l'avancement, nom de Dieu!
Il est vrai que, depuis six mois, les terribles fièvres d'El Meridj rongeaient le capitaine, ne lui laissant que le cuir sur les os.
S'il cassait sa pipe, ?a ferait une place; mais quand tournerait-il de l'oeil? On en voit comme ?a, des souffreteux, des faiblards, des moitié-crevés, qui semblent n'avoir plus qu'un souffle et qui enterrent les plus solides.
Ce n'est pas qu'il en voulait à ce brave homme de capitaine Fleury; il l'aimait beaucoup, au contraire, il se serait fait trouer la peau pour lui dans une charge, mais que diable! puisqu'il n'y avait plus rien à fricasser dans ce sacré pays, il fallait bien se demander si les anciens ne songeaient pas à défiler la grande parade.
Chacun pour soi, n'est-ce pas donc? Eh, nom de Dieu, non! plus rien à faire, positivement. Ces animaux de Bédoins deviennent doux comme des moutons et comme eux se laissent tondre. Tas d'idiots! S'ils se remuaient seulement un peu, de temps à autre! Mais ils ne demandent qu'à vivre en paix! Malheur! Vingt ans de services, et n'être que lieutenant en premier! Il avait sollicité un poste de la frontière, comptant sur des chevauchées, des coups de sabre et des horions, et voilà qu'il prenait du ventre. Quand donc ce gouvernement d'avocats et d'épiciers se décidera-t-il à taper sur quelqu'un ou quelque chose? Avec l'empereur, ce serait déjà fait. Comment voulez-vous que des officiers deviennent républicains si on leur coupe les chances d'avancement! Autant faire du lard et rester chez soi. On gagnerait davantage à vendre des chandelles. Le métier est perdu dans ces parages. Il n'y a pas encore dix mois, on n'aurait pas fait dix pas hors du bordj sans recevoir un pruneau, et le voici à plus de deux cents mètres. On est obligé de compter sur les fièvres et les dyssenteries, puisqu'on n'entend plus siffler la moindre balle.
Comme si une fée bienveillante e?t entendu ce monologue et e?t voulu satisfaire les souhaits de Fortescu, une détonation retentit et un sifflement strident vibra près de son oreille, mais si près qu'il en sentit le vent.
Il se retourna avec une vivacité et une prestesse que n'aurait pu faire soup?onner son ventre de cavalier bien nourri.
--Butor! maladroit! cria-t-il. C'est encore cet animal de marchef qui tire les lièvres. Eh! dites donc, vous, là-bas! Faites attention où vous envoyez vos balles, nom de Dieu!
Mais un second coup qui, cette fois, troua son beau chapeau de palmier, lui prouva que, précisément, le tireur prêtait la plus grande attention à l'endroit où il envoyait ses balles, et que le but n'était pas un lièvre; et tout pale d'émotion et de colère, il aper?ut dans la fumée bleuatre s'élevant en gracieuse spirale d'un fourré de tamarin, un burnous blanc qui s'agitait.
--A cheval! à cheval!
Et encore essoufflé de sa course, il montrait au capitaine le trou de son chapeau.
--Sont-ils nombreux? demanda l'autre, se jetant hors de son lit tout grelottant de fièvre.
--Je n'ai pu les compter, mon capitaine; ils sont embusqués dans les broussailles; mais ils ont tiré plusieurs coups de fusil.
--J'en ai entendu deux. J'ai cru que c'était cet empoté de marchef qui chassait.
Mais le marchef accourait de la cantine où il était en train de sirotter son sixième champoreau, tout en racontant l'histoire de la Pucelle enragée à la petite maman Jardret qui avait mal au ventre à force de rire.
--Un peloton, à cheval!
Et cinq minutes après, le peloton commandé par Fortescu dévalait au grand trot.
On battit les broussailles, on feuilla les halliers, on descendit jusque dans le lit encaissé de l'oued Horrirh: on ne découvrit que quelques petits patres et deux ou trois chaouias paisiblement assis, devisant des choses du temps.
L'ennemi avait disparu.
Une fillette qui s'était enfuie à l'approche des spahis, et qu'on rattrapa bien vite en la mena?ant de lui couper la tête si elle ne disait pas toute la vérité, déclara affolée et tremblante, avoir aper?u un grand négro traverser les broussailles et courir dans la direction du douar du ca?d Hamda-bel-Hassen des Ouled-Ali, de l'autre c?té de l'oued Horrirh, au pied de la montagne.
IV
Le ca?d Hamda-bel-Hassen était mal noté au bureau arabe. Il avait pris part autrefois à tous les soulèvements des Nememchas et, bien qu'ayant fait sa soumission, dans les troubles récents de la frontière, il fut visible à tous qu'il ne nous fournissait qu'à regret son goum.
Cependant, depuis l'installation du camp d'El-Meridj et la construction du bordj collé comme une menace aux flancs de son territoire, il vivait paisiblement en philosophe, entre ses femmes et ses slouguis, se rendant deux fois chaque année à Tebessa avec son trésorier et son secrétaire pour y payer l'imp?t, et ne manquant jamais de se faire accompagner d'un mulet chargé d'étoffes de Tunis, de djebiras soutachées,
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