dévastaient son poulailler.
Mais ce n'était pas ce qui le tracassait et le poussait à sabrer les
branches verdoyantes de l'arbuste cher à Vénus, car les rapines allaient
avoir une fin. La compagnie de zouaves rentrait à Constantine; encore
quelques jours et l'on serait débarrassé de ce mauvais voisinage.
Et voilà justement ce qui embêtait Fortescu. Depuis deux ans que
duraient les travaux du bordj, la smala de spahis ne suffisant pas
d'abord pour protéger les travailleurs, on avait, dès le principe, envoyé
un bataillon; bientôt le bataillon s'était réduit à deux compagnies, puis à
une; et maintenant on retirait cette dernière comme absolument
superflue. Le pays pacifié, les tribus de la frontière soumises; plus de
factionnaires assassinés; plus de têtes de colons coupées. Calme plat
partout. On pouvait aller de Tebessa à El Meridj, d'El Meridj à
Souk-Arras, de Souk-Arras au Tarf et du Tarf à la Calle, tranquillement,
la canne à la main, en fumant des cigarettes, comme de la Bastille à la
Madeleine, avec cette différence qu'au lieu de payer ses
rafraîchissements à un prix exagéré, sans compter le pourboire au
garçon, on était hébergé gratis le long du chemin par ces imbéciles
d'Arabes, sans même se croire obligé de leur dire «merci» au départ. Et
voilà des mois et des mois que cela durait! Et ça allait durer peut-être
encore des mois et des mois et des années entières. Cré tonnerre! Eh
bien! mais alors... et l'avancement, nom de Dieu!
Il est vrai que, depuis six mois, les terribles fièvres d'El Meridj
rongeaient le capitaine, ne lui laissant que le cuir sur les os.
S'il cassait sa pipe, ça ferait une place; mais quand tournerait-il de l'oeil?
On en voit comme ça, des souffreteux, des faiblards, des moitié-crevés,
qui semblent n'avoir plus qu'un souffle et qui enterrent les plus solides.
Ce n'est pas qu'il en voulait à ce brave homme de capitaine Fleury; il
l'aimait beaucoup, au contraire, il se serait fait trouer la peau pour lui
dans une charge, mais que diable! puisqu'il n'y avait plus rien à
fricasser dans ce sacré pays, il fallait bien se demander si les anciens ne
songeaient pas à défiler la grande parade.
Chacun pour soi, n'est-ce pas donc? Eh, nom de Dieu, non! plus rien à
faire, positivement. Ces animaux de Bédoins deviennent doux comme
des moutons et comme eux se laissent tondre. Tas d'idiots! S'ils se
remuaient seulement un peu, de temps à autre! Mais ils ne demandent
qu'à vivre en paix! Malheur! Vingt ans de services, et n'être que
lieutenant en premier! Il avait sollicité un poste de la frontière,
comptant sur des chevauchées, des coups de sabre et des horions, et
voilà qu'il prenait du ventre. Quand donc ce gouvernement d'avocats et
d'épiciers se décidera-t-il à taper sur quelqu'un ou quelque chose? Avec
l'empereur, ce serait déjà fait. Comment voulez-vous que des officiers
deviennent républicains si on leur coupe les chances d'avancement!
Autant faire du lard et rester chez soi. On gagnerait davantage à vendre
des chandelles. Le métier est perdu dans ces parages. Il n'y a pas encore
dix mois, on n'aurait pas fait dix pas hors du bordj sans recevoir un
pruneau, et le voici à plus de deux cents mètres. On est obligé de
compter sur les fièvres et les dyssenteries, puisqu'on n'entend plus
siffler la moindre balle.
Comme si une fée bienveillante eût entendu ce monologue et eût voulu
satisfaire les souhaits de Fortescu, une détonation retentit et un
sifflement strident vibra près de son oreille, mais si près qu'il en sentit
le vent.
Il se retourna avec une vivacité et une prestesse que n'aurait pu faire
soupçonner son ventre de cavalier bien nourri.
--Butor! maladroit! cria-t-il. C'est encore cet animal de marchef qui tire
les lièvres. Eh! dites donc, vous, là-bas! Faites attention où vous
envoyez vos balles, nom de Dieu!
Mais un second coup qui, cette fois, troua son beau chapeau de palmier,
lui prouva que, précisément, le tireur prêtait la plus grande attention à
l'endroit où il envoyait ses balles, et que le but n'était pas un lièvre; et
tout pâle d'émotion et de colère, il aperçut dans la fumée bleuâtre
s'élevant en gracieuse spirale d'un fourré de tamarin, un burnous blanc
qui s'agitait.
--A cheval! à cheval!
Et encore essoufflé de sa course, il montrait au capitaine le trou de son
chapeau.
--Sont-ils nombreux? demanda l'autre, se jetant hors de son lit tout
grelottant de fièvre.
--Je n'ai pu les compter, mon capitaine; ils sont embusqués dans les
broussailles; mais ils ont tiré plusieurs coups de fusil.
--J'en ai entendu deux. J'ai cru que c'était cet empoté de marchef qui
chassait.
Mais le marchef accourait de la cantine où il était en train de sirotter
son sixième champoreau, tout en racontant l'histoire de la Pucelle
enragée à la petite maman
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