Sodome et Gomorrhe - Volume 2 | Page 4

Marcel Proust
en habit du soir; M. Verdurin e?t pu maintenant ��tre salu�� sans honte par son neveu, celui qui ��tait ?dans les choux?.
Parmi ceux qui mont��rent dans mon wagon �� Graincourt se trouvait Saniette, qui jadis avait ��t�� chass�� de chez les Verdurin par son cousin Forcheville, mais ��tait revenu. Ses d��fauts, au point de vue de la vie mondaine, ��taient autrefois--malgr�� des qualit��s sup��rieures--un peu du m��me genre que ceux de Cottard, timidit��, d��sir de plaire, efforts infructueux pour y r��ussir. Mais si la vie, en faisant rev��tir �� Cottard (sinon chez les Verdurin, o�� il ��tait, par la suggestion que les minutes anciennes exercent sur nous quand nous nous retrouvons dans un milieu accoutum��, rest�� quelque peu le m��me, du moins dans sa client��le, dans son service d'h?pital, �� l'Acad��mie de M��decine) des dehors de froideur, de d��dain, de gravit�� qui s'accentuaient pendant qu'il d��bitait devant ses ��l��ves complaisants ses calembours, avait creus�� une v��ritable coupure entre le Cottard actuel et l'ancien, les m��mes d��fauts s'��taient au contraire exag��r��s chez Saniette, au fur et �� mesure qu'il cherchait �� s'en corriger. Sentant qu'il ennuyait souvent, qu'on ne l'��coutait pas, au lieu de ralentir alors, comme l'e?t fait Cottard, de forcer l'attention par l'air d'autorit��, non seulement il tachait, par un ton badin, de se faire pardonner le tour trop s��rieux de sa conversation, mais pressait son d��bit, d��blayait, usait d'abr��viations pour para?tre moins long, plus familier avec les choses dont il parlait, et parvenait seulement, en les rendant inintelligibles, �� sembler interminable. Son assurance n'��tait pas comme celle de Cottard qui gla?ait ses malades, lesquels aux gens qui vantaient son am��nit�� dans le monde r��pondaient: ?Ce n'est plus le m��me homme quand il vous re?oit dans son cabinet, vous dans la lumi��re, lui �� contre-jour et les yeux per?ants.? Elle n'imposait pas, on sentait qu'elle cachait trop de timidit��, qu'un rien suffirait �� la mettre en fuite. Saniette, �� qui ses amis avaient toujours dit qu'il se d��fiait trop de lui-m��me, et qui, en effet, voyait des gens qu'il jugeait avec raison fort inf��rieurs obtenir ais��ment les succ��s qui lui ��taient refus��s, ne commen?ait plus une histoire sans sourire de la dr?lerie de celle-ci, de peur qu'un air s��rieux ne f?t pas suffisamment valoir sa marchandise. Quelquefois, faisant cr��dit au comique que lui-m��me avait l'air de trouver �� ce qu'il allait dire, on lui faisait la faveur d'un silence g��n��ral. Mais le r��cit tombait �� plat. Un convive dou�� d'un bon coeur glissait parfois �� Saniette l'encouragement, priv��, presque secret, d'un sourire d'approbation, le lui faisant parvenir furtivement, sans ��veiller l'attention, comme on vous glisse un billet. Mais personne n'allait jusqu'�� assumer la responsabilit��, �� risquer l'adh��sion publique d'un ��clat de rire. Longtemps apr��s l'histoire finie et tomb��e, Saniette, d��sol��, restait seul �� se sourire �� lui-m��me, comme go?tant en elle et pour soi la d��lectation qu'il feignait de trouver suffisante et que les autres n'avaient pas ��prouv��e. Quant au sculpteur Ski, appel�� ainsi �� cause de la difficult�� qu'on trouvait �� prononcer son nom polonais, et parce que lui-m��me affectait, depuis qu'il vivait dans une certaine soci��t��, de ne pas vouloir ��tre confondu avec des parents fort bien pos��s, mais un peu ennuyeux et tr��s nombreux, il avait, �� quarante-cinq ans et fort laid, une esp��ce de gaminerie, de fantaisie r��veuse qu'il avait gard��e pour avoir ��t�� jusqu'�� dix ans le plus ravissant enfant prodige du monde, coqueluche de toutes les dames. Mme Verdurin pr��tendait qu'il ��tait plus artiste qu'Elstir. Il n'avait d'ailleurs avec celui-ci que des ressemblances purement ext��rieures. Elles suffisaient pour qu'Elstir, qui avait une fois rencontr�� Ski, e?t pour lui la r��pulsion profonde que nous inspirent, plus encore que les ��tres tout �� fait oppos��s �� nous, ceux qui nous ressemblent en moins bien, en qui s'��tale ce que nous avons de moins bon, les d��fauts dont nous nous sommes gu��ris, nous rappelant facheusement ce que nous avons pu para?tre �� certains avant que nous fussions devenus ce que nous sommes. Mais Mme Verdurin croyait que Ski avait plus de temp��rament qu'Elstir parce qu'il n'y avait aucun art pour lequel il n'e?t de la facilit��, et elle ��tait persuad��e que cette facilit�� il l'e?t pouss��e jusqu'au talent s'il avait eu moins de paresse. Celle-ci paraissait m��me �� la Patronne un don de plus, ��tant le contraire du travail, qu'elle croyait le lot des ��tres sans g��nie. Ski peignait tout ce qu'on voulait, sur des boutons de manchette ou sur des dessus de porte. Il chantait avec une voix de compositeur, jouait de m��moire, en donnant au piano l'impression de l'orchestre, moins par sa virtuosit�� que par ses fausses basses signifiant l'impuissance des doigts �� indiquer qu'ici il y a un piston que, du reste, il imitait avec la bouche. Cherchant ses mots en parlant pour
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