Sixtine | Page 9

Remy de Gourmont
le d��sir esquisse la beaut�� et l'amour l'ach��ve. Tel laideron, au sens du vulgaire, a pu rev��tir une id��ale beaut��; telle autre femme que tous jug��rent admirable n'a pas franchi les limbes de l'��bauche, n'ayant jamais ��t�� aim��e. Paysant a hurl�� au paradoxe: la beaut�� f��minine est r��elle et ind��pendante du sentiment. Elle se palpe, n'est-ce pas? Sans doute, c'est m��me un plaisir sp��cial, oui sp��cial. En le poussant adroitement, on lui ferait avouer des go?ts de fr?leur et de toucheur s��nile, mais, je ne sais pourquoi, j'ai peur que sa pathologie ne reprenne Mme Sixtine Magne pour sujet de d��monstration: nous rentrons. Tout le monde a c��d�� au plaisir rare de se coucher de bonne heure. Seul, Fortier nous attend, pour me conduire �� ma chambre. Il para?t qu'un ami de la comtesse s'est ��pris de la Revue sp��culative et va l'��pouser sous le r��gime dotal, en lui reconnaissant comme apport cinquante mille francs qu'elle n'a pas. Ce Fortier a la manie de prof��rer d'incompr��hensibles m��taphores.--?Quelqu'un met cinquante mille francs dans la Revue?--Pr��cis��ment.--Et vous devenez?--R��dacteur en chef au lieu de directeur.--Et le directeur?--Pseudonyme.? Je connais Fortier, il ne se fachera pas: ?Avouez donc que c'est la comtesse.? Il sourit et le voil�� galopant dans les pr��s fan��s du dithyrambe:--?Elle est charmante, g��n��reuse, d��vou��e �� l'art, sans ambition personnelle.--Que d'��tre aim��e?--Cela, je m'en charge.? Cet abandon int��resse ma native curiosit�� et avec de petites contradictions poudr��es d'un peu de scepticisme, je l'excite au point qu'il me conte tout. Il lui fut pr��sent�� par Malaval que sa grace de chien tondu fit le Triboulet de la comtesse. C'��tait une mauvaise entr��e, mais Fortier montra de l'esprit (�� ce qu'il pr��tend): s'ensuivirent les agaceries, les sournois clins d'yeux, l'habitude de se quereller, une absence, quelques lettres o�� papillonna une tendresse l��g��re. Au retour, elle ��tait seule: sans phrases, les bras s'entr'ouvrent, les voil�� palpitants et amants. Fortier est incapable d'inventer et peut-��tre de mentir: il a m��me l'air de trouver cela naturel et un peu fatal: cela devait arriver.--?N'est-ce pas?--Sans doute.? Je le cong��die. En sortant il me demande des pages pour le num��ro 1 de la Sp��culative, nouvelle s��rie. Cette ligne finie, je m'endors, mais pourquoi cette chambre s'appelle-t-elle la chambre au portrait?
13 septembre, le matin.--J'ai r��v�� de ce portrait et je le cherche �� tous les coins et sur tous les pans. Cette pi��ce est m��me remarquablement nue: un papier gris uniforme; au-dessus de la chemin��e Empire, une glace qui monte jusqu'au plafond; le lit occupe un des c?t��s du carr��; �� droite de la porte, une biblioth��que de livres anciens; �� gauche, une commode �� panse et �� cuivres, surmont��e d'une nouvelle glace; en face, deux fen��tres; entre les deux fen��tres, une toilette et encore une glace. Rien que cela.
14 septembre, le soir.--Nous avons fait une excursion aux Roches-Noires. M. de B..., qui ��tait notre guide, a tu�� une vip��re de quelques coups de baguette. Alors, Mme Magne a pris le reptile et un instant, s'est fait un bracelet de la b��te encore mouvante. La comtesse a pouss�� des cris, il a fallu jeter la vip��re dans un trou et j'ai r��fl��chi �� la biblique et singuli��re sympathie de la femme et du serpent, car la comtesse criait sans conviction et Mme de B... plaignait la pauvre cr��ature du bon Dieu.
14 septembre, le matin.--J'ai vu le portrait. La lune pale et verte planait dans ma chambre; je venais de me r��veiller, et d'obscures et ophidiennes visions me hantaient encore. L'oeil fi��vreux, je regardais autour de moi avec d��fiance, des raisonnements logiques et absurdes se multipliaient dans ma t��te et leur fugacit�� me laissait un doute sur le lieu pr��cis de mon existence actuelle: ��tais-je au milieu des broussailles et des pr��cipices des Roches-Noires? Non. Etais-je dans ma chambre et dans mon lit, loin des vip��res et des grima?antes pierres? Peut-��tre. Voil�� qu'au-dessus de la chemin��e, la glace lentement change de teinte: son vert lunaire, son vert d'eau transparente sous des saules s'avive et se dore. On dirait qu'au centre de la lueur, comme sur la face m��me de la lune, des ombres se projettent avec des apparences de traits humains, tandis qu'autour de la vague figure, une ondulation lumineuse serpente comme des cheveux blonds d��nou��s et flottants. Sans que j'aie pu analyser le reste de la soudaine transformation, dans l'intervalle d'un clin d'yeux je la vois achev��e. Clair et vivant, le portrait me regarde; c'est, trait pour trait, celui de la jeune femme au reptile. Pendant des minutes, de longues et inoubliables minutes, la vision a resplendi, puis, comme sous un souffle, s'est ��vanouie.
15 septembre, le matin.--Je me suis r��veill�� vers la m��me heure, mais la glace est rest��e verte et je n'ai pas revu le portrait. Je ne pense qu'�� cela: toute la journ��e d'hier, tant que Mme
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