Sixtine | Page 7

Remy de Gourmont
rapidement, rassembl�� mon l��ger bagage manuel, valise, couverture, pardessus, etc., je ne suis donc pas contraint de retourner vers mon wagon et je sors de la gare, en qu��te de la voiture aux armes de la comtesse Aubry. Elle m'attend et Dieu merci je suis le seul attendu, ce jour: je ferai la route t��te �� t��te avec mon d��sappointement; une heure, me dit le cocher, j'ai une heure pour me morig��ner de tant d'��motion inutile. Nous partons: voici l'Orne, les deux ponts voisins et le long du fleuve encaiss�� de murailles, une amusante maison �� balustrades et �� balcons sur l'eau; un marchand de parapluies �� l'enseigne d'un tr��s beau parasol rouge de chanteur ambulant; nulle voiture dans les rues paisibles et celle-ci am��ne aux portes des hommes, des femmes, pas d'enfants: la cage sans oiseaux, la maison sans enfants: c'��tait une proph��tie. L'��cole, le lyc��e, la caserne, le bureau, l'atelier: la R��volution fran?aise a perfectionn�� l'esclavage, il est unanime. Une ��glise �� demi gothique, quelques vieux pignons et des fa?ades moins ��galitaires me distraient; mais, malgr�� la mont��e, nous passons vite; puis le maigre faubourg, la route plate, l'��tendue d'herbe unie et grise, des carri��res et des roues, quelques peupliers.

IV.--INDICATIONS
?In carne enim ambulantes non secundum carnem militamus.?
SAINT-PAUL, Cor. II, 10, 3.
Entragues n'��crivait que le matin, prolongeait souvent ses matin��es jusque dans les apr��s-midi. Quand il ne se sentait pas assez de lucidit�� pour la logique de la prose, il s'amusait: la po��sie, simple musique qui n'admet ni la passion ni l'analyse, se destine seulement �� sugg��rer de vagues sentiments et de confuses sensations; une demi-conscience lui suffit. A l'imitation de l'admirable po��te saint Notker, il composait d'obscures s��quences pleines d'allit��rations et d'assonnances int��rieures. Aujourd'hui, Walt Whitman, avec son intuitif g��nie, restaurait sans le savoir, cette forme perdue de la po��sie: Entragues, �� certaines heures, s'y d��lectait. Cette litt��rature des environs du dixi��me si��cle, ordinairement jug��e la pu��rile distraction de moines barbares, lui semblait au contraire pleine d'une ing��nue verdeur et d'un ing��nieux raffinement. Notker le charmait encore par l'audace sanguine de ses m��taphores, le charmait et le terrifiait en le jetant �� genoux devant ce Dieu pour lequel la pri��re est un holocauste sanglant, et qui exige, comme un ��gorgement d'agneaux, ?des louanges immol��es?.
Il se plaisait aussi �� une courte et d��licate s��quence de Godeschalk, o�� sainte Marie-Madeleine ?enveloppe de baisers? les pieds de J��sus ?que de ses larmes elle a lav��s?. Un moine du onzi��me si��cle avait ��crit un ouvrage intitul��: Le Rien dans les T��n��bres; Entragues ne put jamais en trouver d'autre trace que la mention du titre: c'��tait un des livres inconnus qu'il aurait voulu lire.
Mis �� part deux ou trois contempleurs de la vie actuelle, un strict logicien de la critique, un r��veur extr��me et absolu, un extraordinaire fondeur de phrases et tailleur d'images, quelques po��tes modernes, il n'ouvrait plus gu��re que de v��tustes th��ologies et des dictionnaires: il avait la manie des lexiques, outils qui lui paraissaient, en g��n��ral, plus int��ressants que les oeuvres, employait �� collecter de tels instruments, souvent bien inutiles, des heures de flanerie. Ainsi se termina la premi��re journ��e de son retour.
Le lendemain, apr��s une nuit, o�� il avait rev��cu quelques-unes des minutes les plus caract��ristiques pass��es avec Sixtine au chateau de Rabodanges, Hubert eut le soup?on que sa vie allait changer d'orientation, qu'une crise in��vitable le mena?ait. C'��tait une occasion propice au recueillement. Dans quelques semaines peut-��tre,--oh! seulement peut-��tre!--son moi aurait-il subi de sensibles modifications: il fallait, pour plus tard s'en rendre compte, noter les traits dominants de son ��tat d'esprit actuel, proc��der �� un sommaire examen de conscience. Son carnet de voyage contenant d��j�� quelques remarques assez pr��cises sur ce sujet, il se borna �� les compl��ter par les indications suivantes:
?J'ai honte de l'avouer, tant cette maladie est banale: je m'ennuie. J'ai des r��veils d��chirants. Je ne crois �� rien et je ne m'aime pas. Mon m��tier est triste: c'est d'exp��rimenter toutes les douleurs et toutes les horreurs de l'ame humaine, afin que les hommes se reconnaissent dans mon oeuvre et disent: Bien rugi, lion! Pourtant, je suis libre: sans obligations nocturnes, ni parasite, ni mondain, ni critique dramatique, je me couche t?t, quand il me pla?t. Arriv�� �� la trentaine sans gu��re de relations sociales, ayant assez de revenu pour ��tre ind��pendant, j'agis en tout �� ma guise, insoucieux des habitudes g��n��rales et satisfait, par exemple, de t��moigner mon m��pris de la civilisation au gaz en soufflant ma lampe sur les dix heures.--Je suis libre, je n'ai ni femme, ni ma?tresse. Les ma?tresses, je les crains pour le trouble o�� elles jettent la r��gularit�� de mon travail; mais des principes aux actes, une large lagune se creuse, chez les ��tres sensitifs: �� deux, je regrette la solitude; seul, je ressens les inqui��tudes du vide. Quand le
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 86
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.