Simon | Page 6

George Sand
autre les moyens de s'acquitter. L'enfant travailla
donc avec courage, avec héroïsme; il simplifia ses dépenses autant que
possible, et rendit sa vie aussi solitaire que celle d'un jeune lévite. La
nature ne l'avait pas fait pour cette retraite et pour ces privations; des
passions ardentes fermentaient dans son sein; une énergie
extraordinaire, le besoin d'une large existence, le débordaient. Il sut
comprimer les élans de son caractère sous la terrible loi de la
conscience. Toute cette existence de sacrifices et de mortifications fut
un véritable martyre, dont pas un ami ne reçut la confidence; Dieu seul
en fut témoin. Jeanne s'effraya de la maigreur et de la pâleur de son fils,
lorsqu'elle le revit les années suivantes. Elle sut seulement qu'il avait la
mauvaise habitude de travailler la nuit. Parquet se demanda si c'était le
vice ou la sagesse qui avait terni déjà la fleur de la jeunesse sur ce
noble visage. Il n'osa le lui demander à lui-même, car Simon n'était pas
très-expansif; il était dévoré de fierté, et, quoiqu'il ressentît au fond du
coeur une vive reconnaissance pour son ami, il ne pouvait surmonter la
souffrance qu'il éprouvait auprès de lui. Il le fuyait avec douleur et
n'avait pas seulement la force de lui dire: «Je travaille, et j'espère le
succès de mes peines;» car il rougissait de sa honte même, il ne
craignait rien tant que de se l'entendre reprocher. Le caractère de
Parquet étant plus ouvert et plus hardi, il ne comprit pas les sentiments
de Simon, et les attribua à la honte ou au remords d'avoir mal employé
son temps et son argent. Il eut la délicatesse de ne pas lui faire de
question et de ne pas sembler s'apercevoir de son embarras. Bonne, qui
ne sut à quoi attribuer la conduite de son compagnon d'enfance, s'en
affligea assez sérieusement pour faire craindre à son père que ce jeune
homme ne lui inspirât un sentiment plus vif que la simple amitié.
Cependant, à l'automne de 1824, Simon revint avec son diplôme
d'avocat et sa thèse en latin dédiée à l'ami Parquet. Personne ne
s'attendait à un succès aussi prompt. Simon ne l'avait pas même
annoncé à sa mère dans ses lettres. Ce fut un grand jour de joie et
d'attendrissement pour les deux vieillards. Bonne eut les larmes aux
yeux en serrant la main de son jeune ami. Mais la tristesse et la pâleur

de Simon ne s'animèrent pas un instant. Il sembla impatient de voir
finir le dîner que Parquet donnait, pour lui faire fête, aux notables du
pays et aux plus proches amis. Il s'éclipsa sur le premier prétexte qu'il
put trouver et alla se promener seul dans la montagne. Tous les jours
suivants il montra le même amour pour la solitude, le même besoin de
silence et d'oubli. Parquet l'engageait avec chaleur à s'emparer de la
première affaire qui serait plaidée à la fin des vacances, et à faire son
début au barreau. Simon lui serrait la main et répondait: «Avant tout, il
faut que je me repose. Je suis accablé de fatigue.»
Cela n'était que trop vrai. Mais à ce malaise venait se joindre une
tristesse profonde. Simon portait au dedans de lui-même la lèpre qui
consume les âmes actives lorsque leur destinée ne répond pas à leurs
facultés. Il était dévoré d'une inquiétude sans cause et d'une impatience
sans but qu'il eût été bien embarrassé d'expliquer et de confier à tout
autre qu'à lui-même, car il comprenait à peine son mal et n'osait se
l'avouer. Il était ambitieux. Il se sentait à l'étroit dans la vie et ne savait
vers quelle issue s'envoler. Ce qu'il avait souhaité d'être ne lui semblait
plus, maintenant qu'il avait mis les deux pieds sur cet échelon, qu'une
conquête dérisoire hasardée sur le champ de l'infini. Simple paysan, il
avait désiré une profession éclairée; avocat, il rêvait les succès
parlementaires de la politique, sans savoir encore s'il aurait assez de
talent oratoire pour défendre la propriété d'une haie ou d'un sillon.
Ainsi partagé entre le mépris de sa condition présente, le désir de
monter au-dessus et la crainte de rester au-dessous, il était en proie à de
véritables angoisses et les cachait avec soin, sachant mieux que
personne que cet état tenait de la folie et qu'il fallait le surmonter par
l'effort de sa propre volonté. Cette maladie de l'âme est commune
aujourd'hui à tous les jeunes gens qui abandonnent la position de leur
famille pour en conquérir une plus élevée. C'est une pitié que de les en
voir tous atteints, même les plus médiocres, chez qui l'ambition (déjà si
répréhensible dans les grandes âmes lorsqu'elle y naît trop vite) devient
ridicule et insupportable, n'étant fondée sur aucune prétention légitime.
Simon n'était pas de ces génies avortés qui se dévorent du regret de
n'avoir pu
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