le p��nible sillon de sa vie. Il souffrait par anticipation les douleurs de ce nouveau martyre, auquel il savait bien que la mollesse et l'amour grossier de soi-m��me ne viendraient pas le soustraire. Il souffrait, mais non pas comme la plupart de ceux qui se lamentent de leur impuissance; il subissait en silence le mal des grandes ames. Il sentait se former en lui un g��ant, et sa fr��le jeunesse pliait sous le poids de cet autre lui-m��me qui grondait dans son sein.
Il s'appliquait cette m��taphore, et souvent, lorsqu'au fond d'un ravin il se jetait avec accablement sur la bruy��re, il se disait en lui-m��me qu'il ��tait comme une femme enceinte, fatigu��e de porter le fruit de ses entrailles. ?Quand donc te produirai-je au jour, dragon? s'��criait-il dans son d��lire; quand donc te lancerai-je devant moi �� travers le monde pour m'y frayer une route? Seras-tu vaste comme mon aspiration, seras-tu ��troit comme ma poitrine? Est-ce la cit��, est-ce la souris qui va sortir de ce p��nible et long enfantement??
En attendant cette heure terrible, il s'��tendait sur la mousse des collines et �� l'ombre des for��ts de bouleaux qui serpentent sur les bords pittoresques de la Creuse; il go?tait parfois quelques heures d'un sommeil agit�� comme l'onde du torrent et comme le vent de l'orage. Tant?t il marchait avec rapidit�� pendant tout un jour, tant?t il restait assis sur un rocher, du lever au coucher du soleil. Sa sant�� p��rissait, mais son ame ne vivait qu'avec plus d'intensit��, et son courage renaissait avec les douleurs physiques qui lui donnaient un aliment.
A ces maux se r��unissaient les irritations bilieuses d'un sentiment politique tr��s-prononc��. A vingt-deux ans, les sentiments sont des principes, et ces principes-l�� sont des passions. Simon avait suc�� les id��es r��publicaines au sein de sa m��re. Son p��re, soldat de la r��publique, avait ��t�� massacr�� par les chouans. L'abb�� F��line avait compris la fraternit�� des hommes comme J��sus l'avait enseign��e, et Jeanne, imbue de ses pens��es, admettait si peu le droit divin pour les dignit��s temporelles, qu'�� son insu, vingt fois par jour, elle ��tait h��r��tique. Son fils prenait plaisir �� l'entendre prof��rer ces saints blasph��mes. Il se gardait de les lui faire apercevoir, et s'enivrait de l'��nergie de cette sauvage vertu qui r��pondait si bien �� toutes les fibres de son ��tre. ?Ma m��re, s'��criait-il quelquefois avec enthousiasme, vous ��tiez digne d'��tre une matrone romaine aux plus beaux jours de la r��publique.? Jeanne ne savait pas l'histoire romaine, mais elle avait r��ellement les vertus de l'ancienne Rome.
A cette ��poque, o�� il ��tait s��rieusement question du retour des anciens privil��ges, o�� l'on pr��sentait des lois sur le droit d'a?nesse, o�� l'on votait des indemnit��s pour les ��migr��s, quoique la m��re et le fils F��line n'eussent aucune pr��vention personnelle contre la famille de Foug��res, ils virent avec regret tout l'attirail aratoire des fr��res Mathieu sortir du donjon f��odal pour faire place �� la livr��e du comte. La vieille Jeanne pr��voyait bien, dans son exp��rience, que, l'amour du nouveau une fois calm��, ce ma?tre tant d��sir�� ne manquerait ni d'ennemis ni de d��fauts. Elle ��tait bless��e, surtout, d'entendre le jeune cur�� de Foug��res parler de lui rendre des honneurs semblables �� ceux qui escorteraient les reliques d'un saint, et demandait par quelles vertus cet inconnu avait m��rit�� qu'on parlat d'aller le recevoir en procession. N��anmoins, comme elle ne s'exprimait devant ses concitoyens qu'avec douceur et mesure, malgr�� le grand cr��dit que ses vertus, sa sagesse et sa pi��t�� lui avaient acquis sur leurs esprits, ils la trait��rent un peu comme Cassandre, et n'en continu��rent pas moins d'��lever des reposoirs sur la route par laquelle le comte de Foug��res devait arriver.
III.
Quelques jours avant celui o�� le comte de Foug��res ��tait attendu dans son domaine, on vit, d��s le matin, mademoiselle Bonne faire charger un mulet des plus beaux fruits de son jardin, fruits rares dans le pays, et que M. Parquet soignait presque aussi tendrement que sa fille. Le digne homme ��tait parti la veille. Bonne monta en croupe, suivant l'usage, derri��re son domestique. On attacha le mulet charg�� de vivres �� la queue du cheval que montaient la demoiselle et son ��cuyer en blouse et en gu��tres de toile. Dans cet ��quipage, la fille vous voil��-t-il pas en route pour courir �� sa rencontre, lui pr��parer son d?ner et le saluer avec tout le respect d'une humble vassale? Combien de temps allez-vous nous d��rober la pr��sence de cet astre resplendissant? Songez �� l'impatience...
--Taisez-vous, monsieur Simon, interrompit Bonne avec un peu d'humeur. Toutes ces plaisanteries-l�� sont fort m��chantes. Croyez-vous que mon p��re et moi soyons les humbles serviteurs de qui que ce soit? Pensez-vous que votre monsieur le comte soit autre chose pour nous qu'un client et un h?te envers lequel nous n'avons que des devoirs de probit�� et de politesse ��
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