Sganarelle | Page 3

Molière
Voilà de nos maris le procédé commun ; Ce qui leur est permis leur devient importun. Dans le commencements ce sont toutes merveilles, Ils témoignent pour nous des ardeurs nonpareilles ; Mais les tra?tres bient?t se lassent de nos feux, Et portent autre part ce qu'ils doivent chez eux. Ah ! que j'ai de dépit que la loi n'autorise A changer de mari comme on fait de chemise ! Cela serait commode ; et j'en sais telle ici Qui comme moi, ma foi, le voudrait bien aussi.
(En ramassant le portrait que Célie avait laissé tomber.)
Mais quel est ce bijou que le sort me présente ? L'émail en est fort beau, la gravure charmante. Ouvrons.

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SCèNE VI. - Sganarelle, La femme de Sganarelle.

- Sganarelle -
(se croyant seul.)
On la croyait morte, et ce n'était rien. Il n'en faut plus qu'autant : elle se porte bien. Mais j'aper?ois ma femme.
- La femme de Sganarelle -
(se croyant seule.)
O ciel ! c'est miniature ! Et voilà d'un bel homme une vive peinture !
- Sganarelle -
(à part, et regardant par-dessus l'épaule de sa femme.)
Que considère-t-elle avec attention ? Ce portrait, mon honneur, ne vous dit rien de bon. D'un fort vilain soup?on je me sens l'ame émue.
- La femme de Sganarelle -
(sans apercevoir son mari.)
Jamais rien de plus beau ne s'offrit à ma vue ; Le travail plus que l'or s'en doit encor priser. Oh ! que cela sent bon !
- Sganarelle -
(à part.)
Quoi ! peste, le baiser ? Ah ! j'en tiens !
- La femme de Sganarelle -
(poursuit.)
Avouons qu'on doit être ravie Quand d'un homme ainsi fait on se peut voir servie, Et que, s'il en contait avec attention, Le penchant serait grand à la tentation. Ah ! que n'ai-je un mari d'une aussi bonne mine ! Au lieu de mon pelé, de mon rustre...
- Sganarelle -
(lui arrachant le portrait.)
Ah ! matine ! Nous vous y surprenons en faute contre nous, Et diffamant l'honneur de votre cher époux. Donc, à votre calcul, ? ma trop digne femme, Monsieur, tout bien compté, ne vaut pas bien Madame ? Et, de par Belzébut, qui vous puisse emporter, Quel plus rare parti pourriez-vous souhaiter ? Peut-on trouver en moi quelque chose à redire ? Cette taille, ce port que tout le monde admire, Ce visage, si propre à donner de l'amour, Pour qui mille beautés soupirent nuit et jour ; Bref, en tout et partout, ma personne charmante N'est donc pas un morceau dont vous soyez contente ? Et, pour rassasier votre appétit gourmand, Il faut au mari le rago?t d'un galant ?
- La femme de Sganarelle -
J'entends à demi-mot où va la raillerie. Tu crois par ce moyen...
- Sganarelle -
A d'autres ; je vous prie. La chose est avérée, et je tiens dans mes mains Un bon certificat du mal dont je me plains.
- La femme de Sganarelle -
Mon courroux n'a déjà que trop de violence, Sans le charger encor d'une nouvelle offense. écoute, ne crois pas retenir mon bijou, Et songe un peu...
- Sganarelle -
Je songe à te rompre le cou. Que ne puis-je, aussi bien que je tiens la copie, Tenir l'original !
- La femme de Sganarelle -
Pourquoi ?
- Sganarelle -
Pour rien, ma mie. Doux objet de mes voeux ; j'ai grand tort de crier, Et mon front de vos dons vous doit remercier.
(Regardant le portrait de Lélie.)
Le voilà ! le beau-fils, le mignon de couchette, Le malheureux tison de ta flamme secrète, Le dr?le avec lequel...
- La femme de Sganarelle -
Avec lequel... poursuis.
- Sganarelle -
Avec lequel, te dis-je..., et j'en crève d'ennuis.
- La femme de Sganarelle -
Que me veut donc conter par là ce ma?tre ivrogne ?
- Sganarelle -
Tu ne m'entends que trop, madame la carogne. Sganarelle est un nom qu'on ne me dira plus, Et l'on va m'appeler seigneur Cornélius : J'en suis pour mon honneur ; mais à toi, qui me l'?tes, Je t'en ferai du moins pour un bras ou deux c?tes.
- La femme de Sganarelle -
Et tu m'oses tenir de semblables discours ?
- Sganarelle -
Et tu m'oses jouer de ces diables de tours ?
- La femme de Sganarelle -
Et quels diables de tours ? Parle donc sans rien feindre.
- Sganarelle -
Ah ! cela ne vaut pas la peine de se plaindre ! D'un panache de cerf sur le front me pourvoir, Hélas ! voilà vraiment un beau venez-y voir !
- La femme de Sganarelle -
Donc, après m'avoir fait la plus sensible offense Qui puisse d'une femme exciter la vengeance, Tu prends d'un feint courroux le vain amusement Pour prévenir l'effet de mon ressentiment ? D'un pareil procédé l'insolence est nouvelle ! Celui qui fait l'offense est celui qui querelle.
- Sganarelle -
Eh ! la bonne effrontée ! A voir ce fier maintien, Ne la croirait-on pas une femme de bien ?
- La femme de Sganarelle -
Va, poursuis ton chemin, cajole tes ma?tresses,
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