Sganarelle | Page 2

Molière
sans lui le reste est une triste affaire. Valère, je crois bien, n'est pas de toi chéri ; Mais, s'il ne l'est amant, il le sera mari. Plus que l'on ne le croit, ce nom d'époux engage, Et l'amour est souvent un fruit du mariage. Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner Où de droit absolu j'ai pouvoir d'ordonner ? Trêve donc, je vous prie, à vos impertinences. Que je n'entende plus vos sottes doléances. Ce gendre doit venir vous visiter ce soir ; Manquez un peu, manquez à le bien recevoir : Si je ne vous lui vois faire fort bon visage, Je vous... Je ne veux pas en dire davantage.

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SCèNE II. - Célie, la suivante de Célie.

- La suivante -
Quoi ? refuser, Madame, avec cette rigueur, Ce que tant d'autres gens voudraient de tout leur coeur ! A des offres d'hymen répondre par des larmes, Et tarder tant à dire un oui si plein de charmes ! Hélas ! que ne veut-on aussi me marier ! Ce ne serait pas moi qui se ferait prier ; Et loin qu'un pareil oui me donnat de la peine, Croyez que j'en dirais bien vite une douzaine. Le précepteur qui fait répéter la le?on A votre jeune frère a fort bonne raison Lorsque, nous discourant des choses de la terre, Il dit que la femelle est ainsi que le lierre, Qui cro?t beau tant qu'à l'arbre il se tient bien serré, Et ne profite point s'il en est séparé. Il n'est rien de plus vrai, ma très-chère ma?tresse, Et je l'éprouve en moi, chétive pécheresse ! Le bon Dieu fasse paix à mon pauvre Martin ! Mais j'avais, lui vivant, le teint d'un chérubin, L'embonpoint merveilleux, l'oeil gai, l'ame contente ; Et je suis maintenant ma commère dolente. Pendant cet heureux temps passé comme un éclair, Je me couchais sans feu dans le fort de l'hiver ; Sécher même les draps me semblait ridicule, Et je tremble à présent dedans la canicule. Enfin il n'est rien tel, Madame, croyez-moi, Que d'avoir un mari la nuit auprès de soi ; Ne f?t-ce que pour l'heur d'avoir qui vous salue D'un : Dieu vous soit en aide ! alors qu'on éternue.
- Célie -
Peux-tu me conseiller de commettre un forfait, D'abandonner Lélie, et prendre ce mal fait ?
- La suivante -
Votre Lélie aussi n'est, ma foi, qu'une bête, Puisque si hors de temps son voyage l'arrête ; Et la grande longueur de son éloignement Me le fait soup?onner de quelque changement.
- Célie -
(lui montrant le portrait de Lélie.)
Ah ! ne m'accable point par ce triste présage. Vois attentivement les traits de ce visage : Ils jurent à mon coeur d'éternelles ardeurs ; Je veux croire, après tout, qu'ils ne sont pas menteurs, Et que, comme c'est lui que l'art y représente, Il conserve à mes feux une amitié constante.
- La suivante -
Il est vrai que ces traits marquent un digne amant, Et que vous avez lieu de l'aimer tendrement.
- Célie -
Et cependant il faut... Ah ! soutiens-moi.
(Elle laisse tomber le portrait de Lélie.)
- La suivante -
Madame, D'où vous pourrait venir... Ah ! bons dieux ! elle pame ! Hé ! vite, holà ! quelqu'un.

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SCèNE III. - Célie, Sganarelle, la suivante de Célie.

- Sganarelle -
Qu'est-ce donc ? me voilà.
- La suivante -
Ma ma?tresse se meurt.
- Sganarelle -
Quoi ! ce n'est que cela ? Je croyais tout perdu, de crier de la sorte. Mais approchons pourtant. Madame, êtes-vous morte ? Ouais ! Elle ne dit mot.
- La suivante -
Je vais faire venir Quelqu'un pour l'emporter ; veuillez la soutenir.

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SCèNE IV. - Célie, Sganarelle, la femme de Sganarelle.

- Sganarelle -
(en passant la main sur le sein de Célie.)
Elle est froide partout, et je ne sais qu'en dire. Approchons-nous pour voir si sa bouche respire. Ma foi ! je ne sais pas ; mais j'y trouve encor, moi, Quelque signe de vie.
- La femme de Sganarelle -
(regardant par la fenêtre.)
Ah ! qu'est-ce que je voi ? Mon mari dans ses bras... Mais je m'en vais descendre ; Il me trahit sans doute, et je veux le surprendre.

- Sganarelle -
Il faut se dépêcher de l'aller secourir ; Certes, elle aurait tort de se laisser mourir. Aller en l'autre monde est très grande sottise, Tant que dans celui-ci l'on peut être de mise.
(Il l'emporte avec un homme que la suivante amène.)

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SCèNE V. - La femme de Sganarelle.

- La femme de Sganarelle -
Il s'est subitement éloigné de ces lieux, Et sa fuite a trompé mon désir curieux. Mais de sa trahison je ne suis plus en doute, Et le peu que j'ai vu me la découvre toute. Je ne m'étonne plus de l'étrange froideur Dont je le vois répondre à ma pudique ardeur : Il réserve, l'ingrat, ses caresses à d'autres, Et nourrit leurs plaisirs par le je?ne des n?tres.
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