Non, non, je vous rends grâce, autant qu'on puisse rendre Du secours
obligeant que vous m'avez prêté.
- Sganarelle -
(à part.)
La masque encore après lui fait civilité !
(La femme de Sganarelle rentre dans sa maison.)
-----------
SCÈNE XV. - Sganarelle, Lélie.
- Sganarelle -
(à part.)
Il m'aperçoit ; voyons ce qu'il me pourra dire.
- Lélie -
(à part.)
Ah ! mon âme s'émeut, et cet objet m'inspire... Mais je dois condamner
cet injuste transport, Et n'imputer mes maux qu'aux rigueurs de mon
sort. Envions seulement le bonheur de sa flamme.
(En s'approchant de Sganarelle.)
Oh ! trop heureux d'avoir une si belle femme !
-----------
SCÈNE XVI. - Sganarelle ; Célie, à sa fenêtre, voyant Lélie qui s'en va.
- Sganarelle -
(seul.)
Ce n'est point s'expliquer en termes ambigus. Cet étrange propos me
rend aussi confus Que s'il était venu des cornes à la tête.
(Regardant le côté par où Lélie est sorti.)
Allez, ce procédé n'est point du tout honnête.
- Célie -
(à part, en rentrant.)
Quoi ! Lélie a paru tout à l'heure à mes yeux ! Qui pourrait me cacher
son retour en ces lieux ?
- Sganarelle -
(sans voir Célie.)
Oh ! trop heureux d'avoir une si belle femme ! Malheureux bien plutôt
de l'avoir cette infâme, Dont le coupable feu, trop bien vérifié, Sans
respect ni demi nous a cocufié ! Mais je le laisse aller après un tel
indice, Et demeure les bras croisés comme un jocrisse (9) ! Ah ! je
devais du moins lui jeter son chapeau, Lui ruer quelque pierre, ou
crotter son manteau, Et sur lui hautement, pour contenter ma rage, Faire
au larron d'honneur crier le voisinage.
(Pendant le discours de Sganarelle, Célie s'approche peu à peu, et
attend, pour lui parler, que son transport soit fini.)
- Célie -
(à Sganarelle.)
Celui qui maintenant devers vous est venu, Et qui vous a parlé, d'où
vous est-il connu ?
- Sganarelle -
Hélas ! ce n'est pas moi qui le connaît, Madame ; C'est ma femme.
- Célie -
Quel trouble agite ainsi votre âme !
- Sganarelle -
Ne me condamnez point d'un deuil hors de saison, Et laissez-moi
pousser des soupirs à foison.
- Célie -
D'où vous peuvent venir ces douleurs non communes ?
- Sganarelle -
Si je suis affligé, ce n'est pas pour des prunes (10), Et je le donnerais à
bien d'autres qu'à moi, De se voir sans chagrin au point où je me voi.
Des maris malheureux vous voyez le modèle : On dérobe l'honneur au
pauvre Sganarelle ; Mais c'est peu que l'honneur dans mon affliction :
L'on me dérobe encor la réputation.
- Célie -
Comment ?
- Sganarelle -
Ce damoiseau, parlant par révérence, Me fait cocu, Madame, avec toute
licence ; Et j'ai su par mes yeux avérer aujourd'hui Le commerce secret
de ma femme et de lui.
- Célie -
Celui qui maintenant...
- Sganarelle -
Oui, oui, me déshonore ; Il adore ma femme, et ma femme l'adore.
- Célie -
Ah ! j'avais bien jugé que ce secret retour Ne pouvait me couvrir que
quelque lâche tour ; Et j'ai tremblé d'abord, en le voyant paraître, Par un
pressentiment de ce qui devait être.
- Sganarelle -
Vous prenez ma défense avec trop de bonté ; Tout le monde n'a pas la
même charité ; Et plusieurs qui tantôt ont appris mon martyre, Bien
loin d'y prendre part, n'en ont rien fait que rire.
- Célie -
Est-il rien de plus noir que ta lâche action ? Et peut-on lui trouver une
punition ? Dois-tu ne te pas croire indigne de la vie, Après t'être souillé
de cette perfidie ? Ô ciel ! est-il possible ?
- Sganarelle -
Il est trop vrai pour moi.
- Célie -
Ah ! traître ! scélérat ! âme double et sans foi !
- Sganarelle -
La bonne âme !
- Célie -
Non, non, l'enfer n'a point de gêne Qui ne soit pour ton crime une trop
douce peine.
- Sganarelle -
Que voilà bien parler !
- Célie -
Avoir ainsi traité Et la même innocence et la même bonté !
- Sganarelle -
(soupire haut.)
Haie !
- Célie -
Un coeur qui jamais n'a fait la moindre chose À mériter l'affront où ton
mépris l'expose !
- Sganarelle -
Il est vrai.
- Célie -
Qui bien loin... Mais c'est trop, et ce coeur Ne saurait y songer sans
mourir de douleur.
- Sganarelle -
Ne vous fâchez pas tant, ma très chère Madame, Mon mal vous touche
trop, et vous me percez l'âme.
- Célie -
Mais ne t'abuse pas jusqu'à te figurer Qu'à des plaintes sans fruit j'en
veuille demeurer : Mon coeur, pour
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.