tu m'oses tenir de semblables discours ?
- Sganarelle -
Et tu m'oses jouer de ces diables de tours ?
- La femme de Sganarelle -
Et quels diables de tours ? Parle donc sans rien feindre.
- Sganarelle -
Ah ! cela ne vaut pas la peine de se plaindre ! D'un panache de cerf sur
le front me pourvoir, Hélas ! voilà vraiment un beau venez-y voir !
- La femme de Sganarelle -
Donc, après m'avoir fait la plus sensible offense Qui puisse d'une
femme exciter la vengeance, Tu prends d'un feint courroux le vain
amusement Pour prévenir l'effet de mon ressentiment ? D'un pareil
procédé l'insolence est nouvelle ! Celui qui fait l'offense est celui qui
querelle.
- Sganarelle -
Eh ! la bonne effrontée ! A voir ce fier maintien, Ne la croirait-on pas
une femme de bien ?
- La femme de Sganarelle -
Va, poursuis ton chemin, cajole tes maîtresses, Adresse-leur tes voeux,
et fais-leur des caresses : Mais rends-moi mon portrait sans te jouer de
moi.
(Elle lui arrache le portrait et s'enfuit.)
- Sganarelle -
(Courant après elle.)
Oui, tu crois m'échapper... ; je l'aurai malgré toi.
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SCÈNE VII. - Lélie, Gros-René.
- Gros-René -
Enfin, nous y voici. Mais, Monsieur, si je l'ose, Je voudrais vous prier
de me dire une chose.
- Lélie -
Eh bien ! parle.
- Gros-René -
Avez-vous le diable dans le corps, Pour ne pas succomber à de pareils
efforts ? Depuis huit jours entiers, avec vos longues traites, Nous
sommes à piquer de chiennes de mazettes, De qui le train maudit nous a
tant secoués, Que je m'en sens pour moi tous les membres roués ; Sans
préjudice encor d'un accident bien pire, Qui m'afflige un endroit que je
ne veux pas dire : Cependant, arrivé, vous sortez bien et beau, Sans
prendre de repos, ni manger un morceau.
- Lélie -
Ce grand empressement n'est point digne de blâme : De l'hymen de
Célie on alarme mon âme ; Tu sais que je l'adore ; et je veux être
instruit, Avant tout autre soin, de ce funeste bruit.
- Gros-René -
Oui, mais un bon repas vous serait nécessaire, Pour s'aller éclaircir,
Monsieur, de cette affaire ; Et votre coeur, sans doute, en deviendrait
plus fort Pour pouvoir résister aux attaques du sort : J'en juge par
moi-même, et la moindre disgrâce, Lorsque je suis à jeun, me saisit, me
terrasse ; Mais quand j'ai bien mangé, mon âme est ferme à tout, Et les
plus grands revers n'en viendraient pas à bout. Croyez-moi,
bourrez-vous, et sans réserve aucune, Contre les coups que peut vous
porter la fortune ; Et, pour fermer chez vous l'entrée à la douleur, De
vingt verres de vin entourez votre coeur.
- Lélie -
Je ne saurais manger.
- Gros-René -
(bas, à part.)
Si ferai bien, je meure. (4)
(Haut.)
Votre dîner pourtant serait prêt tout à l'heure.
- Lélie -
Tais-toi, je te l'ordonne.
- Gros-René -
Ah ! quel ordre inhumain !
- Lélie -
J'ai de l'inquiétude, et non pas de la faim.
- Gros-René -
Et moi, j'ai de la faim, et de l'inquiétude De voir qu'un sot amour fait
toute votre étude.
- Lélie -
Laisse-moi m'informer de l'objet de mes voeux, Et, sans m'importuner,
va manger si tu veux.
- Gros-René -
Je ne réplique point à ce qu'un maître ordonne.
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SCÈNE VIII. - Lélie.
- Lélie -
Non, non, à trop de peur mon âme s'abandonne : Le père m'a promis, et
la fille a fait voir Des preuves d'un amour qui soutient mon espoir.
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SCÈNE IX. - Sganarelle, Lélie.
- Sganarelle -
(sans voir Lélie, et tenant dans ses mains le portrait.)
Nous l'avons, et je puis voir à l'aise la trogne Du malheureux pendard
qui cause ma vergogne ; Il ne m'est point connu.
- Lélie -
(à part.)
Dieux ! qu'aperçois-je ici ? Et si c'est mon portrait, que dois-je croire
aussi ?
- Sganarelle -
(sans voir Lélie.)
Ah ! pauvre Sganarelle ! à quelle destinée Ta réputation est-elle
condamnée ! Faut...
(Apercevant Lélie qui le regarde, il se retourne d'un autre côté.)
- Lélie -
(à part.)
Ce gage ne peut, sans alarmer ma foi, Être sorti des mains qui le
tenaient de moi.
- Sganarelle -
(à part.)
Faut-il que désormais à deux doigts l'on te montre, Qu'on te mette en
chansons, et qu'en toute rencontre On te rejette au nez le scandaleux
affront Qu'une femme mal née imprime sur ton front ?
- Lélie -
(à part.)
Me trompé-je ?
- Sganarelle -
(à part.)
Ah ! truande (5) ! as-tu bien le courage De m'avoir fait cocu dans la
fleur de mon âge ? Et,
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