Servitude et Grandeur Militaires

Alfred de Vigny


Servitude et Grandeur Militaires

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Title: Servitude et grandeur militaires
Author: Alfred de Vigny
Release Date: April 19, 2006 [EBook #18211]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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OEUVRES COMPLèTES
DE
Alfred de Vigny

SERVITUDE
ET GRANDEUR MILITAIRES

PARIS ALPHONSE LEMERRE, éDITEUR 27-31, PASSAGE CHOISEUL, 27-31
M D CCC LXXXIV

LIVRE PREMIER
SOUVENIRS DE SERVITUDE MILITAIRE
Ave, C?sar, morituri te salutant.

Livre Premier

CHAPITRE PREMIER
POURQUOI J'AI RASSEMBLé CES SOUVENIRS
S'il est vrai, selon le poète catholique, qu'il n'y ait pas de plus grande peine que de se rappeler un temps heureux, dans la misère, il est aussi vrai que l'ame trouve quelque bonheur à se rappeler, dans un moment de calme et de liberté, les temps de peine ou d'esclavage. Cette mélancolique émotion me fait jeter en arrière un triste regard sur quelques années de ma vie, quoique ces années soient bien proches de celle-ci, et que cette vie ne soit pas bien longue encore.
Je ne puis m'empêcher de dire combien j'ai vu de souffrances peu connues et courageusement portées par une race d'hommes toujours dédaignée ou honorée outre mesure, selon que les nations la trouvent utile ou nécessaire.
Cependant ce sentiment ne me porte pas seul à cet écrit, et j'espère qu'il pourra servir à montrer quelquefois, par des détails de moeurs observés de mes yeux, ce qu'il nous reste encore d'arriéré et de barbare dans l'organisation toute moderne de nos Armées permanentes, où l'homme de guerre est isolé du citoyen, où il est malheureux et féroce, parce qu'il sent sa condition mauvaise et absurde. Il est triste que tout se modifie au milieu de nous, et que la destinée des Armées soit la seule immobile. La loi chrétienne a changé une fois les usages farouches de la guerre; mais les conséquences des nouvelles moeurs qu'elle introduisit n'ont pas été poussées assez loin sur ce point. Avant elle, le vaincu était massacré ou esclave pour la vie, les villes prises, saccagées, les habitants chassés et dispersés; aussi chaque état épouvanté se tenait-il constamment prêt à des mesures désespérées, et la défense était aussi atroce que l'attaque. à présent, les villes conquises n'ont rien à craindre que de payer des contributions. Ainsi la guerre s'est civilisée, mais non les Armées; car non seulement la routine de nos coutumes leur a conservé tout ce qu'il y avait de mauvais en elles; mais l'ambition ou les terreurs des gouvernements ont accru le mal, en les séparant chaque jour du pays et en leur faisant une Servitude plus oisive et plus grossière que jamais. Je crois peu aux bienfaits des subites organisations; mais je con?ois ceux des améliorations successives. Quand l'attention générale est attirée sur une blessure, la guérison tarde peu. Cette guérison, sans doute, est un problème difficile à résoudre pour le législateur, mais il n'en était que plus nécessaire de le poser. Je le fais ici, et si notre époque n'est pas destinée à en avoir la solution, du moins ce voeu aura re?u de moi sa forme et les difficultés en seront peut-être diminuées. On ne peut trop hater l'époque où les Armées seront identifiées à la Nation, si elle doit acheminer au temps où les Armées et la guerre ne seront plus, et où le globe ne portera plus qu'une nation unanime enfin sur ses formes sociales; événement qui, depuis longtemps, devrait être accompli.
Je n'ai nul dessein d'intéresser à moi-même, et ces souvenirs seront plut?t les Mémoires des autres que les miens; mais j'ai été assez vivement et assez longtemps blessé des étrangetés de la vie des Armées pour en pouvoir parler. Ce n'est que pour constater ce triste droit que je dis quelques mots sur moi.
J'appartiens à cette génération née avec le siècle, qui, nourrie de bulletins par l'Empereur, avait toujours devant les yeux une épée nue, et vint la prendre au moment même où la France la remettait dans le fourreau des Bourbons. Aussi, dans ce modeste tableau d'une partie obscure de ma vie, je ne veux para?tre que ce que je fus, spectateur plus qu'acteur, à mon grand regret. Les événements que je cherchais ne vinrent pas aussi grands qu'il me les e?t fallu. Qu'y faire?--on n'est pas toujours ma?tre de jouer le r?le qu'on e?t aimé, et l'habit ne nous vient pas toujours au temps où nous le porterions le mieux. Au moment où j'écris[1], un homme de vingt ans de service n'a
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