des lois;
jeune homme, tous les plaisirs feront cortège à ta jeunesse, et chacune
de tes fantaisies viendra s'épanouir en fleur au premier appel de ton
désir; homme, toutes les routes seront ouvertes à ton ambition. Tu seras
enfin ce qu'on appelle un heureux du monde. Mais ton bonheur n'aura
que des apparences, et chacune de tes joies sera doublée d'une
déception; car tu vas vivre dans une société où la corruption est presque
une nécessité d'existence, et la perfidie une arme de défense
personnelle qu'on doit toujours avoir à la main comme un soldat son
épée.»
C'est ainsi qu'Ulric avait raisonné intérieurement, et cette singulière
philosophie l'avait conduit à rêver cette singulière espérance.
«En revanche, ajoutait-il, ceux-là qui naissent abandonnés de la fortune,
les malheureux qui n'ont d'autre protection qu'eux-mêmes et traversent
la vie attelés à la glèbe du travail, ceux-là du moins, au milieu de la
dure existence que leur impose leur destin, doivent conserver les bons
instincts dont ils sont doués nativement. La bonne foi, la
reconnaissance, toutes les nobles qualités humaines doivent croître
dans les sillons qu'arrose la sueur du travail. L'ouvrier doit pratiquer
avec la rudesse de ses moeurs la fraternité; ne possédant rien, il ne
connaît point les haines que déterminent les rivalités d'intérêt; ses
sympathies et ses amitiés sont spontanées et sincères, et comme celles
du monde, n'ont pas seulement la durée d'une paire de gants ou d'un
bouquet de bal. Ses amours ignorent les honteux alliages dont sont
composés les amours du monde, amours faits d'ambition, d'orgueil, de
haine même quelquefois, mais jamais d'amour. L'ignorance du peuple
est une sauvegarde contre le mal, car le mal est un résultat du savoir.
On fait le bien avec le coeur seulement; le mal exige la collaboration de
l'esprit et de la raison.»
Mais cette suprême espérance, à laquelle Ulric s'était obstinément
attaché, ne survécut pas à sa tentative. Après avoir pendant six mois
vécu au milieu des hommes de labeur, l'étude et le contact des moeurs
de ce monde nouveau pour lui laissa Ulric encore plus désolé; et son
expérience l'amena à cette conclusion absolue que le bien et le bon
n'existaient pas, ou n'existaient qu'à l'état d'instincts dont l'application
et le développement n'étaient pas possibles.
Dans les classes élevées de la société, parmi le monde des cravates
blanches et des habits noirs, il avait rencontré toute la hideuse famille
des vices humains, mais ils étaient du moins correctement vêtus,
parlaient le beau langage promulgué par décrets académiques, et
n'agissaient point une seule fois sans consulter le code des convenances.
Il avait souvent, dans un salon, serré avec joie la main droite d'un
homme qui le trahissait de la main gauche, mais cette main était
irréprochablement gantée. Souvent il avait cru au sourire de ces
trahisons vivantes qu'on appelle des femmes; il s'était laissé émouvoir
par les solo de sensibilité qu'elles exécutent en public après les avoir
longuement étudiés, comme on fait d'une sonate de piano ou d'un air
d'opéra, et il avait été dupe; mais, du moins, ces femmes qui le
trompaient étaient vêtues de soie et de velours; les perles et les
diamants, arrachés au mystérieux écrin de la nature, luttaient de feux et
d'éclairs avec les flammes de leurs regards et resplendissaient sur leur
front comme une constellation d'étoiles terrestres. Ces femmes étaient
les reines du monde; elles portaient des noms qui avaient eu déjà
l'apothéose de l'histoire, et quand elles traversaient un bal, laissant
derrière elles un sillage de parfums et de grâces, tous les hommes
faisaient sur leur passage une haie d'admirations génuflexes.
--Ulric ne tarda pas à se convaincre que les moeurs de l'atelier ne
valaient pas mieux que celles du salon.
En venant pour la première fois à son travail, l'apparence chétive de sa
personne, la pâleur distinguée de son visage, la blancheur de ses mains,
jusque-là restées oisives, lui valurent, de la part de ses nouveaux
compagnons, un accueil plein d'ironie et d'insultes. Résigné d'abord aux
humbles fonctions d'apprenti, Ulric subit patiemment sans y répondre
toutes les oppressions et toutes les injures dont on l'accablait à cause de
sa faiblesse apparente, à cause de sa façon de parler, qui n'avait rien de
commun avec le vocabulaire du cabaret. Plus tard, lorsque la pratique
de son état eut développé sa force, quand la rouille du travail eut rendu
ses mains calleuses et bruni son visage empreint d'un cachet de mâle
virilité, ceux qui, en d'autres temps, avaient abusé de leur force pour
l'opprimer, changèrent subitement de langage et de manières avec lui
dès qu'ils s'aperçurent que son bras frêle soulevait les plus lourds
fardeaux aussi facilement que le souffle d'orage enlève une plume du
sol.
Au bout d'un an de séjour dans l'atelier, Ulric, dont l'intelligence avait
été remarquée par ses chefs, fut nommé contremaître. Cette nomination
excita parmi tous
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