Sapho | Page 5

Alphonse Daudet
d��couverte de tous ces jolis coins des environs de Paris dont elle savait la carte pr��cise et d��taill��e. Ils se m��laient aux d��parts nombreux, turbulents, des gares de banlieue, d��jeunaient dans quelque cabaret �� la lisi��re des bois ou des eaux, ��vitant seulement certains endroits trop courus. Un jour qu��il lui proposait d��aller aux Vaux-de-Cernay.
-- Non, non... pas l��... il y a trop de peintres...
Et cette antipathie des artistes, il se rappela qu��elle avait ��t�� l��initiation de leur amour. Comme il en demandait la raison:
-- Ce sont, dit-elle, des d��traqu��s, des compliqu��s qui racontent toujours plus de choses qu��il n��y en a... Ils m��ont fait beaucoup de mal...
Lui protestait:
-- Pourtant, l��art, c��est beau... Rien de tel pour embellir, ��largir la vie.
-- Vois-tu, m��ami, ce qui est beau, c��est d����tre simple et droit comme toi, d��avoir vingt ans et de bien s��aimer...
Vingt ans! on ne lui e?t pas donn�� davantage, �� la voir si vivante, toujours pr��te, riant �� tout, trouvant tout bon.
Un soir, �� Saint-Clair, dans la vall��e de Chevreuse, ils arriv��rent la veille de la f��te et ne trouv��rent pas de chambre. Il ��tait tard, il fallait une lieue de bois dans la nuit pour rejoindre le prochain village. Enfin on leur offrit un lit de sangle, rest�� libre au bout d��une grange o�� dormaient des ma?ons.
-- Allons-y, dit-elle en riant... ?a me rappellera mon temps de mis��re.
Elle avait donc connu la mis��re.
Ils se gliss��rent �� tatons entre les lits occup��s dans la grande salle cr��pie �� la chaux, o�� fumait une veilleuse au fond d��une niche sur la muraille; et toute la nuit serr��s l��un contre l��autre, ils ��touffaient leurs baisers et leurs rires, en entendant ronfler, geindre de fatigue ces compagnons, dont les bourgerons, les lourdes chaussures de travail tra?naient tout pr��s de la robe de soie et des fines bottes de la Parisienne.
Au petit jour, une chati��re s��ouvrit au bas du large portail, un rai de lumi��re blanche fr?la la sangle des lits, la terre battue, pendant qu��une voix enrou��e criait: ?Oh��! la coterie...? Puis il se fit, dans la grange redevenue obscure, un remue-m��nage p��nible et lent, des baill��es, des ��tirements, de grosses toux, les tristes bruits humains d��une chambr��e qui s����veille; et lourds, silencieux, les Limousins s��en all��rent, un par un, sans se douter qu��ils avaient dormi pr��s d��une belle fille.
Derri��re eux, elle se leva, mit sa robe �� tatons, tordit ses cheveux en hate: ?Reste l��... je reviens...? Elle rentrait au bout d��un moment avec une ��norme brass��e de fleurs des champs inond��es de ros��e. ?Maintenant dormons...? dit-elle en ��parpillant sur le lit cette odorante fra?cheur de la flore matinale qui ravivait l��atmosph��re autour d��eux. Et jamais elle ne lui avait paru si jolie qu���� cette entr��e de grange, riant dans le petit jour, avec ses l��gers cheveux tout envol��s et ses herbes folles.
Une autre fois, ils d��jeunaient �� Ville-d��Avray devant l����tang. Un matin d��automne enveloppait de brume l��eau calme, la rouille des bois en face d��eux; et seuls dans le petit jardin du restaurant, ils s��embrassaient en mangeant des ablettes. Tout �� coup, d��un pavillon rustique branch�� dans le platane au pied duquel leur table ��tait mise, une voix forte et narquoise appela: ?Dites donc, les autres, quand vous aurez fini de vous b��coter...? Et la face de lion, la moustache rousse du sculpteur Caoudal se penchait dans l��embrasure en rondins du chalet.
-- J��ai bien envie de descendre d��jeuner avec vous... Je m��ennuie comme un hibou dans mon arbre...
Fanny ne r��pondait pas, visiblement g��n��e de la rencontre; lui, au contraire, accepta bien vite, curieux de l��artiste c��l��bre, flatt�� de l��avoir �� sa table.
Caoudal, tr��s coquet dans une apparence n��glig��e, mais o�� tout ��tait calcul�� depuis la cravate en cr��pe de chine blanc pour ��claircir un teint sabr�� de rides et de couperoses, jusqu��au veston serr�� sur la taille encore svelte et les muscles en saillie, Caoudal lui parut plus vieux qu��au bal de D��chelette.
Mais ce qui le surprit et m��me l��embarrassait un peu, ce fut le ton d��intimit�� du sculpteur avec sa ma?tresse. Il l��appelait Fanny, la tutoyait.
-- Tu sais, lui disait-il en installant son couvert sur leur nappe, je suis veuf depuis quinze jours. Maria est partie avec Morateur. ?a m��a laiss�� assez tranquille les premiers temps... Mais ce matin, en entrant �� l��atelier, je me suis senti faignant comme tout... Impossible de travailler... Alors j��ai lach�� mon groupe et je suis venu d��jeuner �� la campagne. Fichue id��e, quand on est seul... Un peu plus je larmoyais dans ma gibelotte...
Puis regardant le Proven?al dont la barbe follette et les cheveux boucl��s avaient le ton du sauternes dans les verres:
-- Est-ce beau, la jeunesse!... Pas de danger qu��on le lache, celui-l��... Et ce qu��il y a de plus fort, c��est que ?a se gagne... Elle a l��air aussi jeune que lui...
--
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 74
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.