Salome | Page 6

Oscar Wilde
cela.
SECOND SOLDAT. Vous avez raison; il faut cacher le cadavre. Il ne faut pas que le tetrarque le voie.
PREMIER SOLDAT. Le tetrarque ne viendra pas ici. Il ne vient jamais sur la terrasse. Il a trop peur du prophete.
[Entree d'Herode, d'Herodias et de toute la cour.]
HERODE. Ou est Salome? Ou est la princesse? Pourquoi n'est-elle pas retournee au festin comme je le lui avais commande? ah! la voila!
HERODIAS. Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez toujours!
HERODE. La lune a l'air tres etrange ce soir. N'est-ce pas que la lune a l'air tres etrange? On dirait une femme hysterique, une femme hysterique qui va cherchant des amants partout. Elle est nue aussi. Elle est toute nue. Les nuages cherchent a la vetir, mais elle ne veut pas. Elle chancelle a travers les nuages comme une femme ivre . . . Je suis sur qu'elle cherche des amants . . . N'est-ce pas qu'elle chancelle comme une femme ivre? Elle ressemble a une femme hysterique, n'est-ce pas?
HERODIAS. Non. La lune ressemble a la lune, c'est tout . . . Rentrons Vous n'avez rien a faire ici.
HERODE. Je resterai! Manasse, mettez des tapis la. Allumez des flambeaux. Apportez les tables d'ivoire, et les tables de jaspe. L'air ici est delicieux. Je boirai encore du vin avec mes hotes. Aux ambassadeurs de Cesar il faut faire tout honneur.
HERODIAS. Ce n'est pas a cause d'eux que vous restez.
HERODE. Oui, l'air est delicieux. Viens, Herodias, nos hotes nous attendent. Ah! j'ai glisse! j'ai glisse dans le sang! C'est d'un mauvais presage. C'est d'un tres mauvais presage. Pourquoi y a-t- il du sang ici? . . . Et ce cadavre? Que fait ici ce cadavre? Pensez-vous que je sois comme le roi d'Egypte qui ne donne jamais un festin sans montrer un cadavre a ses hotes? Enfin, qui est-ce? Je ne veux pas le regarder.
PREMIER SOLDAT. C'est notre capitaine, Seigneur. C'est le jeune Syrien que vous avez fait capitaine il y a trois jours seulement.
HERODE. Je n'ai donne aucun ordre de le tuer.
SECOND SOLDAT. Il s'est tue lui-meme, Seigneur.
HERODE. Pourquoi? Je l'ai fait capitaine!
SECOND SOLDAT. Nous ne savons pas, Seigneur. Mais il s'est tue lui-meme.
HERODE. Cela me semble etrange. Je pensais qu'il n'y avait que les philosophes romains qui se tuaient. N'est-ce pas, Tigellin, que les philosophes a Rome se tuent?
TIGELLIN. Il y en a qui se tuent, Seigneur. Ce sont les Stoiciens. Ce sont de gens tres grossiers. Enfin, ce sont des gens tres ridicules. Moi, je les trouve tres ridicules.
HERODE. Moi aussi. C'est ridicule de se tuer.
TIGELLIN. On rit beaucoup d'eux a Rome. L'empereur a fait un poeme satirique contre eux. On le recite partout.
HERODE. Ah! il a fait un poeme satirique contre eux? Cesar est merveilleux. Il peut tout faire . . . C'est etrange qu'il se soit tue, le jeune Syrien. Je le regrette. Oui, je le regrette beaucoup. Car il etait beau. Il etait meme tres beau. Il avait des yeux tres langoureux. Je me rappelle que je l'ai vu regardant Salome d'une facon langoureuse. En effet, j'ai trouve qu'il l'avait un peu trop regardee.
HERODIAS. Il y en a d'autres qui la regardent trop.
HERODE. Son pere etait roi. Je l'ai chasse de son royaume. Et de sa mere qui etait reine vous avez fait une esclave, Herodias. Ainsi, il etait ici comme un hote. C'etait a cause de cela que je l'avais fait capitaine. Je regrette qu'il soit mort . . . Enfin, pourquoi avez-vous laisse le cadavre ici? Il faut l'emporter ailleurs. Je ne veux pas le voir . . . Emportez-le . . . [On emporte le cadavre.] Il fait froid ici. Il y a du vent ici. N'est-ce pas qu'il y a du vent?
HERODIAS. Mais non. Il n'y a pas de vent.
HERODE. Mais si, il y a du vent . . . Et j'entends dans l'air quelque chose comme un battement d'ailes, comme un battement d'ailes gigantesques. Ne l'entendez-vous pas?
HERODIAS. Je n'entends rien.
HERODE. Je ne l'entends plus moi-meme. Mais je l'ai entendu. C'etait le vent sans doute. C'est passe. Mais non, je l'entends encore. Ne l'entendez-vous pas? C'est tout a fait comme un battement d'ailes.
HERODIAS. Je vous dis qu'il n'y a rien. Vous etes malade. Rentrons
HERODE. Je ne suis pas malade. C'est votre fille qui est malade. Elle a l'air tres malade, votre fille. Jamais je ne l'ai vue si pale.
HERODIAS. Je vous ai dit de ne pas la regarder.
HERODE. Versez du vin. [On apporte du vin.] Salome, venez boire un peu de vin avec moi. J'ai un vin ici qui est exquis. C'est Cesar lui-meme qui me l'a envoye. Trempez la-dedans vos petites levres rouges et ensuite je viderai la coupe.
SALOME. Je n'ai pas soif, tetrarque.
HERODE. Vous entendez comme elle me repond, votre fille.
HERODIAS. Je trouve qu'elle a bien raison. Pourquoi la regardez- vous toujours?
HERODE. Apportez
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