Salome | Page 2

Oscar Wilde
Juifs adorent un Dieu qu'on ne peut pas voir.
LE CAPPADOCIEN. Je ne peux pas comprendre cela.
PREMIER SOLDAT. Enfin, ils ne croient qu'aux choses qu'on ne peut pas voir.
LE CAPPADOCIEN. Cela me semble absolument ridicule.
LA VOIX D'IOKANAAN. Apres moi viendra un autre encore plus puissant que moi. Je ne suis pas digne meme de delier la courroie de ses sandales. Quand il viendra la terre deserte se rejouira. Elle fleurira comme le lis. Les yeux des aveugles verront le jour, et les oreilles des sourds seront ouvertes . . . Le nouveau-ne mettra sa main sur le nid des dragons, et menera les lions par leurs crinieres.
SECOND SOLDAT. Faites-le taire. Il dit toujours des choses absurdes.
PREMIER SOLDAT. Mais non; c'est un saint homme. Il est tres doux aussi. Chaque jour je lui donne a manger. Il me remercie toujours.
LE CAPPADOCIEN. Qui est-ce?
PREMIER SOLDAT. C'est un prophete.
LE CAPPADOCIEN. Quel est son nom?
PREMIER SOLDAT. Iokanaan.
LE CAPPADOCIEN. D'ou vient-il?
PREMIER SOLDAT. Du desert, ou il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il etait vetu de poil de chameau, et autour de ses reins il portait une ceinture de cuir. Son aspect etait tres farouche. Une grande foule le suivait. Il avait meme de disciples.
LE CAPPADOCIEN. De quoi parle-t-il?
PREMIER SOLDAT. Nous ne savons jamais. Quelquefois il dit des choses epouvantables, mais il est impossible de le comprendre.
LE CAPPADOCIEN. Peut-on le voir?
PREMIER SOLDAT. Non. Le tetrarque ne le permet pas.
LE JEUNE SYRIEN. La princesse a cache son visage derriere son eventail! Ses petites mains blanches s'agitent comme des colombes qui s'envolent vers leurs colombiers. Elles ressemblent a des papillons blancs. Elles sont tout a fait comme des papillons blancs.
LE PAGE D'HERODIAS. Mais qu'est-ce que cela vous fait? Pourquoi la regarder? Il ne faut pas la regarder . . . Il peut arriver un malheur.
LE CAPPADOCIEN [montrant la citerne] Quelle etrange prison!
SECOND SOLDAT. C'est une ancienne citerne.
LE CAPPADOCIEN. Une ancienne citerne! cela doit etre tres malsain.
SECOND SOLDAT. Mais non. Par exemple, le frere du tetrarque, son frere aine, le premier mari de la reine Herodias, a ete enferme la- dedans pendant douze annees. Il n'en est pas mort. A la fin il a fallu l'etrangler.
LE CAPPADOCIEN. L'etrangler? Qui a ose faire cela?
SECOND SOLDAT [montrant le bourreau, un grand negre] Celui-la, Naaman.
LE CAPPADOCIEN. Il n'a pas eu peur?
SECOND SOLDAT. Mais non. Le tetrarque lui a envoye la bague.
LE CAPPADOCIEN. Quelle bague?
SECOND SOLDAT. La bague de la mort. Ainsi, il n'a pas eu peur.
LE CAPPADOCIEN. Cependant, c'est terrible d'etrangler un roi.
PREMIER SOLDAT. Pourquoi? Les rois n'ont qu'un cou, comme les autres hommes.
LE CAPPADOCIEN. Il me semble que c'est terrible.
LE JEUNE SYRIEN. Mais la princesse se leve! Elle quitte la table! Elle a l'air tres ennuyee. Ah! elle vient par ici. Oui, elle vient vers nous. Comme elle est pale. Jamais je ne l'ai vue si pale . . .
LE PAGE D'HERODIAS. Ne la regardez pas. Je vous prie de ne pas la regarder.
LE JEUNE SYRIEN. Elle est comme une colombe qui s'est egaree . . . Elle est comme un narcisse agite du vent . . . Elle ressemble a une fleur d'argent. [Entre Salome.]
SALOME. Je ne resterai pas. Je ne peux pu rester. Pourquoi le tetrarque me regarde-t-il toujours avec ses yeux de taupe sous ses paupieres tremblantes? . . . C'est etrange que le mari de ma mere me regarde comme cela. Je ne sais pas ce que cela veut dire . . . Au fait, si, je le sais.
LE JEUNE SYRIEN. Vous venez de quitter le festin, princesse?
SALOME. Comme l'air est frais ici! Enfin, ici on respire! La- dedans il y a des Juifs de Jerusalem qui se dechirent a cause de leurs ridicules ceremonies, et des barbares qui boivent toujours et jettent leur vin sur les dalles, et des Grecs de Smyrne avec leurs yeux peints et leurs joues fardees, et leurs cheveux frises en spirales, et des Egyptiens, silencieux, subtils, avec leurs ongles de jade et leurs manteaux bruns, et des Romains avec leur brutalite, leur lourdeur, leurs gros mots. Ah! que je deteste les Romains! Ce sont des gens communs, et ils se donnent des airs de grands seigneurs.
LE JEUNE SYRIEN. Ne voulez-vous pas vous asseoir, princesse?
LE PAGE D'HERODIAS. Pourquoi lui parler? Pourquoi la regarder? . . . Oh! il va arriver un malheur.
SALOME. Que c'est bon de voir la lune! Elle ressemble a une petite piece de monnaie. On dirait une toute petite fleur d'argent. Elle est froide et chaste, la lune . . . Je suis sure qu'elle est vierge. Elle a la beaute d'une vierge . . . Oui, elle est vierge. Elle ne s'est jamais souillee. Elle ne s'est jamais donnee aux hommes, comme les autres Deesses.
LA VOIX D'IOKANAAN. Il est venu, le Seigneur! Il est venu, le fils de l'Homme. Les centaures se sont caches dans les
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