mots. Maintenant, par cette
simple phrase italienne qui signifiait à une vieille femme de vouloir
ouvrir des volets, il me semble que je dévoilais alors toute la secrète
puissance d'amour que je sentais sourdre au fond de moi et qui
m'étouffait. Ce n'était plus du tout la sorte d'émotion qui m'eût fait
trembler la voix, quelques minutes auparavant, si j'eusse parlé, par
exemple, dans le choeur. C'était un prodigieux bien-être, une aise tiède
et bienheureuse: le goût délicat de ses paroles dans ma bouche. Mais ce
fut une joie si minutieuse et si intimement tendre qu'il est bien possible
que rien n'en ait transpercé.
Et, retraduisant ensuite la réponse de la vieille, je m'émerveillais de
parler en face à ce visage aux yeux gris, enveloppé de foulards qui, par
la suspension légère de ses sourcils manifestait plus de surprise de la
façon que lui venait la réponse que d'intérêt à la réponse elle-même.
--Cette femme dit, mademoiselle, que le sacristain seul a les clefs, et
qu'il n'est pas là pour le moment.
On eut le temps de recevoir la résonance sourde de mes paroles dans
l'édifice avant que ne se détendît l'arc de ses sourcils. Enfin elle fit:
--Ah!... et, n'est-ce pas, monsieur, c'est bien dommage?
Nous causâmes le plus tranquillement du monde. Je lui dis ce qu'était la
Piscine probatique. Toutes ces dames poussaient de petits «ah!» à
chaque terme de beauté que j'employais, en parlant de l'admirable
Maître. Cependant j'étais certain qu'écoutant un nouveau venu discourir,
elles savaient déjà la couleur de mes yeux et de ma cravate et si j'avais
soin de mes dents, mais nullement ce que je leur disais. A un moment,
je leur fis observer que nous étions sur la dalle qui couvre le corps du
grand homme. Elles se retirèrent toutes pieusement, et il y eut quelques
secondes de silence. Elles étaient très sincères et voulaient être émues
des choses anciennes bien que les femmes ne soient guère touchées que
par le présent.
Rien n'égalait l'aisance de nos propos quand nous sortîmes de
Saint-Sébastien. Ces dames émirent le voeu de retrouver sur leur
chemin un cicerone si éclairé, me demandèrent si j'étais ici pour
quelque temps encore ou si je ne faisais que commencer mon séjour.
--Il est étonnant ajouta gracieusement la jeune fille, que nous ne vous
ayons point aperçu jusqu'ici.
Pouvait-on être plus aimable et plus généreux?
* * * * *
J'appris qu'elle avait nom Marie. Elle était la fille d'un des principaux
banquiers de Paris, nommé M. Vitellier. On la faisait voyager pour
compléter son éducation artistique, car elle peignait à l'aquarelle. Mais
elle avait très réellement du goût. Elle s'efforçait de penser et de juger
par elle-même. Comme elle y avait beaucoup de difficulté, ayant été
élevée comme les autres jeunes filles, il se livrait en elle de perpétuels
combats qui étaient de l'effet le plus charmant. Tout ce qu'elle abordait
lui apparaissait, au premier coup d'oeil, sous la couleur dont on lui avait
appris à revêtir les choses, mais avec une sorte de réserve hésitante;
puis elle faisait la grimace: «Ce n'est pas ça!»; enfin, elle se cherchait,
et si on la devinait, si on allait au-devant de sa pensée encore peureuse,
elle était dans une joie, elle vous aurait embrassé. Elle avait la
sensibilité d'une feuille au vent; elle allait, venait, était ballottée
perpétuellement, sous le coup de mille influences inapparentes qui
eussent laissé tout calme hormis elle. Mais cette mobilité n'interrompait
pas la continuité de sa grâce. Elle ressemblait à ces fleurs fragiles dont
l'air agite les tendres pétales jusqu'à menacer d'en briser l'harmonie
toujours renaissante sous les poussées les plus diverses.
Je sautais de l'ivresse à des désespoirs accablants. J'arrivais de
promenades où la vie, côte à côte avec elle, m'apparaissait légère
comme la lumière, et mes soirées étaient noires et lourdes, mes nuits
coupées de brusques réveils avec cette angoisse toujours: «c'est fini!
c'est fini! je ne la verrai plus...»
Ce cauchemar en venait à empiéter sur le jour; je l'éprouvais même tout
à coup en face d'elle, sur les quais ou dans la gondole, et j'avais des
mouvements nerveux qu'elle remarquait parfois.
--Qu'avez-vous? me dit-elle un jour.
--Mais rien! lui répondis-je.
Il m'avait semblé que je n'étais plus là, que je rêvais seulement à ces
lagunes, à cette lumière, à cette présence... Je serrais le bord de la
gondole pour me faire mal avec la réalité, m'affirmer le véritable
moment, l'heure bienheureuse qui s'écoulait. Elle me vit et me dit
sérieusement:
--Oh! vous êtes fort!
Non! l'apparence était par trop stupide: j'avais eu l'air de faire la parade
avec mes muscles! Rien ne pouvait m'être plus désagréable; je me hâtai
de rire et lui dis:
--Non! Non! Ne croyez pas! Mais il me passe parfois des idées
mauvaises que j'écrase comme cela.
--Oui, oui! fit-elle,
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