Roméo et Juliette | Page 5

William Shakespeare
la mort n'a pas planté ici son pale drapeau!?
Je n'ai garde d'insister sur la comparaison. Qui ne sent combien la forme est plus simple et plus belle dans Pétrarque? C'est la poésie suave et brillante du Midi à c?té de l'imagination forte, rude et heurtée du Nord.
L'amour de Roméo pour Rosalinde est une invention de Luigi da Porto, conservée dans le po?me d'Arthur Brooke. Cette invention jette si peu d'intérêt sur les premiers actes de la pièce, que Shakspeare ne l'a probablement adoptée que pour faire mieux ressortir ce caractère de soudaineté propre aux passions du climat. Le personnage de Mercutio lui a été indiqué par ces vers du po?me anglais:
A courtier that eche where was highly had in price, For he was courteous of his speech, and pleasant of devise. Even as a lyon would among the lambs be bold, Such was among the bashful maydes Mercutio to behold.
?Un courtisan que, quelque part qu'il se trouvat, chacun tenait en très-haute estime, car il était courtois dans ses discours et devisait plaisamment; autant un lion serait hardi au milieu des agneaux, autant Mercutio le paraissait au milieu des jeunes filles timides.?
Tel était sans doute le bel air du temps de Shakspeare, et c'est comme le type de l'homme aimable et amusant qu'il a peint Mercutio. Cependant, si la hardiesse lui a manqué pour attaquer, comme Molière, les ridicules de la cour, il laisse assez souvent entrevoir que le ton lui en était à charge. Le r?le de Mercutio para?t avoir co?té à son go?t et à la justesse de son esprit. Dryden rapporte, comme une tradition de son temps, que Shakspeare disait ?qu'il avait été obligé de tuer Mercutio au troisième acte, de peur que Mercutio ne le tuat.? Cependant Mercutio a conservé en Angleterre de zélés partisans; Johnson entre autres, à cette occasion, traite assez durement Dryden pour quelques paroles irrévérentes sur cet aimable Mercutio, dont les ?saillies, dit-il, ne sont peut-être pas toujours à sa portée.? L'éloignement de Shakspeare pour le genre d'esprit qu'il a prodigué dans Roméo est, du reste, suffisamment prouvé par l'injonction du frère Laurence à Roméo, lorsque celui-ci commence à lui expliquer ses affaires en style de sonnet: ?Mon fils, lui dit-il, parle simplement.? Le frère Laurence est l'homme sage de la pièce, et ses discours sont en général aussi simples que de son temps il était permis à un philosophe de l'être.
Le r?le de la nourrice de Juliette offre également peu de ces subtilités que Shakspeare para?t, dans cet ouvrage, avoir réservées aux gens de la haute classe, et quelquefois aux valets qui les imitent. Ce caractère de la nourrice est indiqué dans le po?me d'Arthur Brooke, où il est loin cependant d'avoir la même vérité grossière que dans la pièce de Shakspeare.
Partout où ils échappent aux concetti, les vers de Roméo et Juliette sont peut-être les plus gracieux et les plus brillants qui soient sortis de la plume de Shakspeare; ils sont en grande partie rimés, autre hommage rendu aux habitudes italiennes.
Roméo et Juliette fut jouée pour la première fois, en 1596, par _les serviteurs de lord Hundsdon_, les grands seigneurs ayant joui jusqu'au règne de Jacques Ier d'une liberté illimitée quant à la protection qu'ils accordaient aux acteurs. Un acte du Parlement y apporta alors quelque restriction.

ROMéO ET JULIETTE

PERSONNAGES
ESCALUS, prince de Vérone. PARIS, jeune seigneur, parent du prince. MONTAIGU, CAPULET, chefs des deux maisons ennemies. UN VIEILLARD, oncle de Capulet. ROMéO, fils de Montaigu. MERCUTIO, parent du prince et ami de Roméo. BENVOLIO, neveu de Montaigu et ami de Roméo. TYBALT, neveu de la signora Capulet. FRERE LAURENCE, franciscain. FRERE JEAN, religieux du même ordre. BALTHASAR, domestique de Roméo. SAMSON, GREGOIRE, domestique de Capulet. ABRAHAM, domestique de Montaigu. UN APOTHICAIRE. TROIS MUSICIENS. UN VALET. UN PAGE de Paris. PIERRE. UN OFFICIER. CHOEUR. LA SIGNORA MONTAIGU, femme de Montaigu. LA SIGNORA CAPULET, femme de Capulet. JULIETTE, fille de Capulet. LA NOURRICE de Juliette.
CITOYENS DE VéRONE, PLUSIEURS HOMMES ET FEMMES DES DEUX FAMILLES, MASQUES, GARDES, GENS DU GUET ET SERVITEURS.
La scène est pendant presque toute la pièce à Vérone.
Au cinquième acte elle est une fois à Mantoue.

PROLOGUE
Dans la belle Vérone, où nous pla?ons notre scène, l'antique haine de deux maisons égales en dignité vient d'éclater par de nouveaux troubles, où le sang des citoyens a souillé les mains des citoyens. De la race funeste de ces deux ennemis a pris naissance, sous des étoiles funestes, un couple d'amants infortunés dont les malheurs et la ruine déplorable enseveliront avec eux les luttes de leurs parents. L'épisode terrible de cet amour marqué de mort, l'obstination de leurs parents dans des fureurs dont la mort de leurs enfants peut seule terminer le cours, vont pendant ces deux heures occuper notre scène. Si vous nous prêtez la faveur d'une oreille attentive, nous travaillerons par nos efforts à
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