à bien des points de vue. Elle reconstituait un tout brisé par le singulier partage de Verdun et fournissait à la dynastie austrasienne un solide point d'appui en son pays d'origine.
L'autonomie féodale s'était à tel point développée que pour trouver un soutien effectif, le roi Charles en était réduit à rechercher l'alliance des grands dignitaires de l'église, comme l'archevêque de Reims, ou d'hommes de naissance obscure, d'origine lorraine, comme Haganon[39].
La première rébellion contre le pouvoir royal éclata en 920. Charles fit preuve au cours de ces difficiles circonstances d'une fermeté remarquable. L'archevêque de Reims, Hervé, réussit à sauver le monarque et le seconda si bien qu'il se trouva bient?t affermi au point de pouvoir remplacer l'évêque élu de Liège, Hilduin, son ennemi, par Richer, abbé de Prüm, son partisan. Le traité de Bonn, signé le 1er novembre avec Henri l'Oiseleur, auquel Charles avait eu affaire près de Pfeddersheim, dans le pays de Worms, mit fin à cette première période de troubles[40].
Bient?t de nouvelles difficultés surgirent. Le 31 ao?t 921 mourut le duc de Bourgogne Richard le Justicier, qui était, avec le marquis Robert, le plus puissant des grands vassaux, mais aussi l'un des hommes les plus capables du royaume[41]. Il avait lutté victorieusement contre les Normands, et avait toujours su gouverner avec autorité ses vastes domaines, ne craignant pas de résister aux empiétements des puissances ecclésiastiques, séculières ou régulières, et allant même jusqu'à s'emparer par la force des biens d'église, comme du reste presque tous les princes la?ques de son temps, quand la nécessité s'en présentait. Charles perdit en lui un fidèle partisan: s'il n'en avait re?u aucun secours dans le dernier conflit avec les grands, il avait du moins rencontré de son c?té une bienveillante neutralité, et il semblait même que celle-ci d?t un jour ou l'autre se changer en coopération effective. La mort de Richard bouleversa la face des choses. Son fils Raoul qui avait épousé Emma, fille du marquis Robert, fut attiré dans le parti des mécontents par son beau-père qui en était le chef. Pour comble de malheur, Charles vit encore l'archevêque de Reims, d'abord condamné à l'inaction par une grave maladie pendant les troubles de 922, abandonner ensuite totalement sa cause, sans que nous puissions démêler la raison véritable de cette défection.
La concession de l'abbaye de Chelles[42] faite par le roi à Haganon détermina un nouveau soulèvement. Charles avait enlevé l'abbaye à sa tante Rohaut qui était devenue belle-mère de Hugues, fils de Robert[43]. Cet acte revêtait le double caractère d'une spoliation et d'une menace. C'était une dépendance arrachée au coeur même des domaines patrimoniaux de Robert et donnée comme poste d'observation et de combat à un ennemi ha? et méprisé. Une nouvelle période d'hostilités s'ensuivit. Les opérations eurent lieu en Rémois, Laonnais et Soissonnais, et se réduisirent à des incursions de part et d'autre, à des pillages et à des incendies. A plusieurs reprises, Charles s'enfuit, avec Haganon, jusqu'en Lorraine, et en revint avec des troupes fra?ches levées parmi les éléments hostiles au duc ou les vassaux ecclésiastiques. Le duc de Lorraine, Gilbert, le duc de Bourgogne Raoul, enfin l'archevêque de Reims Hervé s'étaient rangés du c?té du marquis Robert[44].
Après la défaite de Laon, Charles fut contraint, par suite de la dispersion totale de son armée, de chercher à nouveau un refuge au delà de la Meuse. Les rebelles profitèrent de l'absence du Carolingien pour secouer définitivement sa suzeraineté en se choisissant un roi parmi eux. Le 29 juin 922, le marquis Robert fut élu roi à Reims par les grands vassaux la?ques et ecclésiastiques, puis couronné le lendemain, un dimanche, à Saint-Remy, par l'archevêque de Sens Gautier, le même qui avait déjà couronné le roi Eudes[45]. L'archevêque de Reims, Hervé, alors gravement malade, mourut trois jours après, et son successeur Séulf, choisi sous l'influence des révoltés, prit aussit?t une attitude nettement opposée à Charles[46].
La lutte reprit de plus belle. Robert la transporta en Lorraine. Son fils Hugues marcha sur Chièvremont, que Charles assiégeait, et le contraignit à lever le siège[47]. Au début de 923, Robert eut l'habileté de se ménager une entrevue, sur les bords de la Roer, avec le roi de Germanie Henri Ier qui, au mépris du traité de Bonn, noua des relations amicales avec l'usurpateur. Robert parvint à obtenir d'une fraction des Lorrains un armistice qui devait se prolonger jusqu'en octobre[48]. Puis il rentra en France, où il congédia les contingents bourguignons, ne gardant que peu d'hommes sous les armes.
Charles ne perdit point de temps. Mettant à profit l'instant de répit que lui laissait la trêve, il s'occupa hativement de lever en Lorraine de nouvelles recrues, et aussit?t qu'il eut réussi à constituer une armée assez puissante, rompant l'armistice, il traversa la Meuse, marcha rapidement sur Attigny et de là contre Robert qui séjournait à Soissons. Il arriva sur l'Aisne
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