était fort mélancolique, il lui dit: «Je ne comprends point, madame,
comment une personne aussi belle que vous l'êtes peut être aussi triste
que vous le paraissez; car, quoique je puisse me vanter d'avoir vu une
infinité de belle personnes, je puis dire que je n'en ai jamais vu dont la
beauté approche de la vôtre.»
[Illustration: Riquet à la Houppe aborda la princesse avec toute la
politesse imaginable.]
«--Cela vous plaît à dire, monsieur, lui répondit la princesse,» et elle en
demeura là.--«La beauté, reprit Riquet à la Houppe, est un si grand
avantage, qu'il doit tenir lieu de tout le reste, et quand on la possède, je
ne vois pas qu'il y ait rien qui puisse nous affliger beaucoup.--J'aimerais
mieux, dit la princesse, être aussi laide que vous, et avoir de l'esprit que
d'avoir de la beauté comme j'en ai, et être bête autant que je le suis.--Il
n'y a rien, madame, qui marque davantage qu'on a de l'esprit, que de
croire n'en pas avoir, et il est de la nature de ce bien là que plus on en a,
plus on croit en manquer.--Je ne sais pas cela, dit la princesse; mais je
sais que je suis fort bête, et c'est de là que vient le chagrin qui me
tue.--Si ce n'est que cela, madame, qui vous afflige, je puis aisément
mettre fin à votre douleur.--Et comment ferez-vous? dit la
princesse.--J'ai le pouvoir, madame, dit Riquet à la Houppe, de donner
de l'esprit autant qu'on en saurait avoir à la personne que je dois aimer
le plus; et comme vous êtes, madame, cette personne, il ne tiendra qu'à
vous que vous n'ayez autant d'esprit qu'on peut en avoir, pourvu que
vous vouliez bien m'épouser.»
La princesse demeura tout interdite, et ne répondit rien. «Je vois, reprit
Riquet à la Houppe, que cette proposition vous fait de la peine, et je ne
m'en étonne pas; mais je vous donne un an tout entier pour vous y
résoudre.» La princesse avait si peu d'esprit, et en même temps une si
grande envie d'en avoir, qu'elle accepta la proposition qui lui était faite.
Elle n'eut pas plus tôt promis à Riquet à la Houppe qu'elle l'épouserait
dans un an à pareil jour, qu'elle se sentit tout autre qu'elle n'était
auparavant: elle se trouva une facilité incroyable à dire tout ce qu'il lui
plaisait, d'une manière fine, aisée et naturelle. Elle commença, dès ce
moment, une conversation galante et soutenue avec Riquet à la Houppe,
où elle brilla d'une telle force, que Riquet à la Houppe crut lui avoir
donné plus d'esprit qu'il ne s'en était réservé pour lui-même.
Quand elle fut retournée au palais, toute la cour ne savait que penser
d'un changement si subit et si extraordinaire; car autant qu'on lui avait
entendu dire d'impertinences auparavant, autant l'écoutait-on dire des
choses sensées et spirituelles. Toute la cour en eut une joie qui ne se
peut imaginer; il n'y eut que sa cadette qui n'en fut pas bien aise, parce
que, n'ayant plus sur son aînée l'avantage de l'esprit, elle ne paraissait
plus auprès d'elle qu'une guenon fort désagréable.
Le bruit de ce changement s'étant répandu, tous les jeunes princes des
royaumes voisins la demandèrent en mariage; mais elle n'en trouvait
point qui eût assez d'esprit, et elle les écoutait tous, sans s'engager à
aucun d'eux. Cependant il en vint un si puissant, si riche, si spirituel, et
si bien fait, qu'elle ne put s'empêcher d'avoir de la bonne volonté pour
lui. Son père s'en étant aperçu, lui dit qu'il la faisait la maîtresse sur le
choix d'un époux. Comme plus on a d'esprit, et plus on a de peine à
prendre une ferme résolution sur cette affaire, elle demanda, à son père,
qu'il lui donnât du temps pour y penser.
Elle alla par hasard se promener dans le même bois où elle avait trouvé
Riquet à la Houppe. Dans le temps qu'elle se promenait, rêvant
profondément, elle entendit un bruit sourd sous ses pieds. Ayant prêté
l'oreille, elle entendit que l'un disait: «Apporte-moi cette marmite;»
l'autre: «Mets du bois dans ce feu.» La terre s'ouvrit dans le même
temps, et elle vit sous ses pieds comme une grande cuisine pleine de
cuisiniers, de marmitons et de toutes sortes d'officiers nécessaires pour
faire un festin magnifique. Il en sortit une bande de vingt ou trente
rôtisseurs, qui allèrent se camper dans une allée du bois, autour d'une
table fort longue, et qui tous, la lardoire à la main et la queue de renard
sur l'oreille, se mirent à travailler en cadence, au son d'une chanson
harmonieuse.
[Illustration: C'est, madame, pour le prince Riquet à la Houppe.]
La princesse, étonnée de ce spectacle, leur demanda pour qui ils
travaillaient. «C'est, madame, lui répondit le plus apparent de la bande,
pour le prince Riquet
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