Regrets sur ma vieille robe de chambre

Denis Diderot

sur ma vieille robe de chambre, by Denis Diderot

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Title: Regrets sur ma vieille robe de chambre
Author: Denis Diderot
Release Date: October 25, 2004 [EBook #13863]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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Denis Diderot
REGRETS SUR MA VIEILLE ROBE DE CHAMBRE
OU
AVIS à CEUX QUI ONT PLUS DE GO?T QUE DE FORTUNE
(1772)
Pourquoi ne l'avoir pas gardée? Elle était faite à moi; j'étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner; j'étais pittoresque et beau. L'autre, raide, empesée, me mannequine. Il n'y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtat; car l'indigence est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de poussière, un de ses pans s'offrait à l'essuyer. L'encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu'elle m'avait rendus. Ces longues raies annon?aient le littérateur, l'écrivain, l'homme qui travaille. A présent, j'ai l'air d'un riche fainéant; on ne sait qui je suis.
Sous son abri, je ne redoutais ni la maladresse d'un valet, ni la mienne, ni les éclats du feu, ni la chute de l'eau. J'étais le ma?tre absolu de ma vieille robe de chambre; je suis devenu l'esclave de la nouvelle.
Le dragon qui surveillait la toison d'or ne fut pas plus inquiet que moi. Le souci m'enveloppe.
Le vieillard passionné qui s'est livré, pieds et poings liés, aux caprices, à la merci d'une jeune folle, dit depuis le matin jusqu'au soir: Où est ma bonne, ma vieille gouvernante? Quel démon m'obsédait le jour que je la chassai pour celle-ci! Puis il pleure, il soupire.
Je ne pleure pas, je ne soupire pas; mais à chaque instant je dis: Maudit soit celui qui inventa l'art de donner du prix à l'étoffe commune en la teignant en écarlate! Maudit soit le précieux vêtement que je révère! Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calemande?
Mes amis, gardez vos vieux amis. Mes amis, craignez l'atteinte de la richesse. Que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises; l'opulence a sa gêne.
O Diogène! si tu voyais ton disciple sous le fastueux manteau d'Aristippe, comme tu rirais! O Aristippe, ce manteau fastueux fut payé par bien des bassesses. Quelle comparaison de ta vie molle, rampante, efféminée, et de la vie libre et ferme du cynique déguenillé! J'ai quitté le tonneau où je régnais, pour servir sous un tyran.
Ce n'est pas tout, mon ami. écoutez les ravages du luxe, les suites d'un luxe conséquent.
Ma vieille robe de chambre était une avec les autres guenilles qui m'environnaient. Une chaise de paille, une table de bois, une tapisserie de Bergame, une planche de sapin qui soutenait quelques livres, quelques estampes enfumées, sans bordure, clouées par les angles sur cette tapisserie; entre ces estampes trois ou quatre platres suspendus formaient avec ma vieille robe de chambre l'indigence la plus harmonieuse.
Tout est désaccordé. Plus d'ensemble, plus d'unité, plus de beauté.
Une nouvelle gouvernante stérile qui succède dans un presbytère, la femme qui entre dans la maison d'un veuf, le ministre qui remplace un ministre disgracié, le prélat moliniste qui s'empare du diocèse d'un prélat janséniste, ne causent pas plus de trouble que l'écarlate intruse en a causé chez moi.
Je puis supporter sans dégo?t la vue d'une paysanne. Ce morceau de toile grossière qui couvre sa tête; cette chevelure qui tombe éparse sur ses joues; ces haillons troués qui la vêtissent [sic] à demi; ce mauvais cotillon court qui ne va qu'à la moitié de ses jambes; ces pieds nus et couverts de fange ne peuvent me blesser: c'est l'image d'un état que je respecte; c'est l'ensemble des disgraces d'une condition nécessaire et malheureuse que je plains. Mais mon coeur se soulève; et, malgré l'atmosphère parfumée qui la suit, j'éloigne mes pas, je détourne mes regards de cette courtisane dont la coiffure à points d'Angleterre, et les manchettes déchirées, les bas de soie sales et la chaussure usée, me montrent la misère du jour associée à l'opulence de la veille.
Tel e?t été mon domicile, si l'impérieuse écarlate n'e?t tout mis à son unisson.
J'ai vu la Bergame céder la muraille, à laquelle elle était depuis si longtemps attachée, à la tenture de damas.
Deux estampes qui n'étaient pas sans mérite: la Chute de la manne dans le désert du Poussin, et l'Esther devant Assuérus du
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