Recits dun soldat - Une Armee Prisonniere; Une Campagne Devant Paris | Page 2

Amedee Achard
des meurtrières rencontres des premiers jours: dragons, zouaves, chasseurs de Vincennes, turcos, soldats de la ligne, hussards, lanciers, tous haves, silencieux, mornes, tra?nant ce qui leur restait de souffle. Point de paille, point d'ambulance, point de médecins. Ils attendaient qu'un convoi les pr?t. Des centaines de wagons encombraient la voie. Il fallait dix manoeuvres pour le passage d'un train. Le personnel de la gare ne dormait plus, était sur les dents.
Au moment où nous allions quitter Paris, nous avions eu la nouvelle de ces défaites, sit?t suivies d'irréparables désastres. Maintenant j'avais sous les yeux le témoignage sanglant et mutilé de ces chocs terribles au devant desquels on avait couru d'un coeur si léger. Mon ardeur n'en était pas diminuée; mais la pitié me prenait à la gorge à la vue de ces malheureux, dont plusieurs attendaient encore un premier pansement. Quoi! tant de misères et si peu de secours!
Le chemin de fer établi pour le service du camp emmena les mobiles au Petit-Mourmelon, d'où une première étape les conduisit à leur campement, le sac au dos. Pour un gar?on qui, la veille encore, voyageait à Paris en voiture et n'avait fatigué ses pieds que sur l'asphalte du boulevard, la transition était brusque. Ce ne fut donc pas sans un certain sentiment de bonheur que j'aper?us la tente dans laquelle je devais prendre g?te, moi seizième. L'espace n'était pas immense, et quelques vents coulis, qui avaient, quoique au coeur de l'été, des fra?cheurs de novembre, passaient bien par les fentes de la toile et les interstices laissés au ras du sol; mais il y avait de la paille, et, serrés les uns contre les autres, se servant mutuellement de calorifères, les mobiles, la fatigue aidant, dormirent comme des soldats.
Aux premières lueurs du jour, un coup de canon retentit: c'était le réveil. Comme des abeilles sortent des ruches, des milliers de mobiles s'échappaient des tentes, en s'étirant. L'un avait le bras endolori, l'autre la jambe engourdie. Le concert des plaintes commen?a. L'élément comique s'y mêlait à haute dose; quelques-uns s'étonnèrent qu'on les e?t réveillés si t?t, d'autres se plaignirent de n'avoir pas de café à la crème. Au nombre de ces conscrits de quelques jours si méticuleux sur la question du confortable, j'en avais remarqué un qui, la veille au soir, avait paru surpris de ne point trouver de souper dressé sous la tente.
--A quoi songe-t-on?--s'était-il écrié.
Les yeux ouverts, sa surprise devint de l'indignation. Le déjeuner n'arrivait pas.
--Si c'est comme cela qu'on nous traite, murmura-t-il, que sera-ce en campagne?
Je ne doutais pas que ce ne f?t quelque fils de famille, comte ou marquis, tombé du faubourg Saint-Germain en pleine démocratie. Un camarade discrètement interrogé m'apprit que le gentilhomme inconnu s'essayait la veille encore dans l'art utile de tirer le cordon. C'est, au reste, une remarque que je n'eus pas seul occasion de faire. Les exigences des mobiles de Paris croissaient en raison inverse des positions qu'ils avaient occupées: tous ceux qui avaient eu les carrefours pour résidence et les mansardes pour domicile poussaient les hauts cris. Le menu du soldat leur paraissait insuffisant; les objets de campement ne venaient pas de chez le bon faiseur.
Le spectacle que présentait le camp de Chalons aux clartés du matin ne manquait ni de grandeur, ni de majesté. Aussi loin que la vue pouvait s'étendre, les c?nes blancs des tentes se profilaient dans la plaine. Leurs longues lignes disparaissaient dans les ondulations du terrain pour repara?tre encore dans les profondeurs de l'horizon. Un grouillement d'hommes animait cette ville mouvante dont un poète de l'antiquité aurait dit qu'elle renfermait le printemps de la grande ville: triste printemps qui avait toutes les lassitudes et la sécheresse de l'hiver avant d'avoir donné la moisson de l'été! Mais, si le camp avait cette grace imposante qui se dégage des grandes lignes, il présentait des inconvénients qui en diminuaient les charmes pittoresques. Des vents terribles en parcouraient la vaste étendue et nous aveuglaient de tourbillons de poussière; à la chaleur accablante du jour succédaient les froids pénétrants des nuits. Une rosée abondante et glaciale mouillait les tentes, et, si l'on ne respirait pas au coucher du soleil, le matin on grelottait.
--Le gouvernement sait bien ce qu'il fait, disaient les mobiles; nous sommes républicains, il nous tue en détail!
Le premier coup de canon tiré, la vie militaire s'emparait du camp. Les tambours battaient, les clairons sonnaient, et les officiers qui avaient eu cette chance heureuse d'attraper des fusils pour leurs bataillons, s'effor?aient d'enseigner à leurs hommes l'exercice qu'ils ne savaient pas. On voyait bon nombre de compagnies où, les fusils à tabatière manquant, on s'exer?ait avec des batons. Les mobiles qui n'avaient que leur paye vivaient de l'ordinaire du soldat. Quant aux fils de famille, ils se réunissaient au Petit-Mourmelon, où l'on trouvait un peu de tout, depuis des patés de foie
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