Réflexions sur le sort des Noirs dans nos colonies | Page 3

Daniel Lescallier
crois pouvoir dire avec assurance qu'il
est nullement impossible, qu'il est même utile & politique de préparer
les voies pour l'abolition de l'esclavage; qu'on peut parvenir à ce but en
ménageant la raison d'état, la politique des Nations, en conservant nos
Colonies à Sucre, sans déranger en rien les propriétés foncières des
habitans, ni diminuer leurs revenus.
Le terme dans lequel on pourroit rendre par gradations la liberté aux
Nègres ne seroit point fort éloigné, & les bonnes dispositions de
plusieurs Colons François l'abrégeroient plus qu'on ne pense: car ce
seroit à tort que l'on regarderoit tous les propriétaires d'habitations dans
les Colonies comme des hommes barbares; plusieurs ont une
disposition humaine & bienfaisante, qui ne produit (il est vrai) que des

effets précaires & momentanés, toujours dérangés par leurs successeurs
ou par leurs gérans: mais la faute en est au Législateur qui a établi &
autorisé l'esclavage, qui en maintient sévèrement la police & la durée,
& non pas à la plupart des habitans qui le trouvant dans leurs héritages,
le trouvant dans tout ce qui les environne depuis des siècles, suivent un
usage avec lequel ils se sont familiarisés dès leur enfance, & une loi qui
les empêcheroit de suivre un autre système. Plusieurs Colons ne
demandent pour bien faire que d'être éclairés sur leurs véritables
intérêts; mais c'est ce qu'on n'obtiendra que par l'expérience & avec le
tems, & à mesure que la législation elle-même reformera l'institution
qu'elle a faite & consolidée.
Toutes les ames honnêtes, sensibles & désintéressées sont déjà
persuadées avant que j'aie parlé: mais il faut démontrer à
l'Administration, il faut prouver aux Colons qu'on peut opérer ces
changemens heureux par des moyens tranquilles & sûrs, en faisant
l'avantage des habitations. Il est nécessaire pour cela de se dégager de
toutes préventions, & de réfléchir avec impartialité sur les différens
points de vue qu'offre cette question importante.
Je vais exposer les moyens par lesquels je crois que l'on parviendroit à
rectifier graduellement l'institution vicieuse des Colonies, en
conservant leurs habitations & leurs cultures.
[Illustration:]
PREMIER MOYEN.
L'Abolition de la Traite des Noirs.
La Traite des Noirs offre une question intimement liée avec celle de
l'esclavage, parce qu'elle lui sert d'aliment, parce qu'il semble aux
Colons que si la Traite cessoit la population des Colonies se réduiroit
bientôt à rien, & leurs cultures dépériroient à mesure, & que puisque
l'esclavage est autorisé la Traite doit l'être également; mais il n'y a que
le Machiavélisme le plus affreux qui puisse plaider pour la continuation
de cet odieux commerce[1].
[Footnote 1: On avoue que n'étant pas instruites de toutes les cruautés
par lesquelles s'opère cette Traite des Noirs, ne les soupçonnant pas
mêmes possibles, des personnes honnêtes & bien intentionnées ont pu,
entraînées par la législation & les circonstances, ne pas avoir de ce
trafic toute l'horreur qu'il doit inspirer; mais depuis la publication des
faits authentiques consignés dans les Ouvrages de Clarkson, de

Froissard, etc., on ne peut plus regarder la Traite des esclaves que
comme un tissu d'atrocités. Que le Lecteur qui n'en sera pas encore
convaincu, lise ces Ouvrages avant d'aller plus loin.]
_Qu'importe que nous soyons injustes & barbares, pourvu que nous
nous enrichissions?_ Voilà en peu de mots à quoi on peut ramener
toutes les raisons qu'on apporte pour soutenir ce commerce; mais si ce
n'est pas seulement une injustice, si c'est encore une erreur; si ce
commerce loin d'être profitable n'est que nuisible aux intérêts de la
Nation, que deviendra l'unique argument avec lequel on prétend en
maintenir la continuation?
§. 1. _Cette Traite considérée politiquement n'offre que des
désavantages._
1°. Elle corrompt les moeurs d'une partie de notre Nation, en la
familiarisant avec des actions féroces, en y faisant concourir plusieurs
sujets à qui on finit par faire regarder ces actions comme légitimes; en
accoutumant un nombre de personnes à spéculer leur fortune sur la
destruction de l'espèce humaine.
2°. Elle ne procure des bras aux cultures des Colonies qu'en faisant
périr par les guerres, par les injustices, par les duretés des traversées,
par les mauvais traitemens, & par le désespoir, beaucoup plus de
Nègres que nous n'en acquérons.
3°. Ce commerce est plus nuisible que profitable à ses Armateurs; ce
qui s'explique en disant que si on voit quelques voyages lucratifs, le
plus grand nombre n'offre que des pertes; & ces pertes seroient bien
plus apparentes, si elles n'étoient souvent compensées par des profits
accessoires, sur les marchandises d'Europe, sur les achats de poudre
d'or, d'ivoire, etc., sur les achats & frets de denrées Coloniales en
retour.
4°. Ce commerce est ruineux à l'État par les primes & encouragemens
pécuniaires très-exorbitans que le Gouvernement a cru nécessaire de
donner à ses spéculateurs, primes dont la dépense s'éleveroit au moins à
4 millions par an, si elles obtenoient complettement leur effet desiré:
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 15
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.