Réflexions sur le sort des Noirs dans nos colonies | Page 2

Daniel Lescallier
Païsans; on donne comme inhérens au caractère des Noirs la
paresse, la fourberie, & toutes les mauvaises qualités que leur trouvent
des Maîtres durs & égoïstes qui ne voient en eux que les instrumens
passifs de leur fortune: mais ces mauvaises qualités & ces vices sont,
ou relatifs à l'opinion & au préjugé sur leur état, ou occasionnés par la
maniere dont on les traite: communs à tous les hommes & dans toutes
les sociétés, ces vices s'évanouissent, ou du moins s'affoiblissent
considérablement, sous un régime humain & raisonnable, même parmi
les esclaves; c'est ce qu'une expérience suivie & attentive à bien
démontré.
Les partisans de l'esclavage ne peuvent d'ailleurs faire entrer pour rien
dans leurs divers raisonnemens, la cause de l'humanité, ni la justice, ni

le droit naturel, imprescriptibles pour tous les hommes,
indépendamment de leur couleur & des circonstances plus ou moins
favorisées de leur naissance. «_Il nous faut des Colonies; on ne peut les
cultiver sans esclaves; donc il est nécessaire de faire la traite, & d'avoir
des_ esclaves_:» Voilà à quoi se réduiront toujours leurs argumens.
D'un autre côté les personnes qui plaident pour l'abolition de
l'esclavage, inspirées par la raison, la justice, la bienfaisance, & tout ce
que l'humanité offre de motifs plus purs & plus respectables, peuvent
aller trop loin, & prêtent ainsi à la critique de leurs adversaires
intéressés, soit par excès de zèle, soit faute de connoître suffisamment
la localité & la circonstance des Colonies, soit encore faute de respecter
la raison politique des États, qu'il est devenu impossible de ne pas
ménager, à cause des cris d'un nombre de gens dont la fortune dépend
des cultures actuelles de nos Colonies: ils ont prêté encore à la critique
des Colons, en n'appercevant pas bien tous les moyens d'opérer la
révolution qu'ils désirent. De là, il résulte une majorité immense dans
les débats de cette question, en faveur des partisans de l'esclavage, dont
l'opinion est accréditée par un long usage, & par une espèce de loi
généralement établie dans toutes les Colonies Européennes.
Dans toutes ces discussions, les Colons (qui sont presque tous pour le
maintien de l'esclavage) mettent beaucoup de chaleur & d'acharnement
à soutenir une cause qui leur semble personnelle; les autres (qui sont un
petit nombre de personnes n'ayant pour la plupart aucun intérêt dans les
Colonies) montrent le plus grand zèle pour le soulagement de
l'humanité souffrante.
Quel que soit l'effet de ces débats, à quelque époque que cet effet soit
retardé, il ne peut qu'en résulter un traitement plus humain pour les
Noirs: on voit déjà qu'il ne reste plus aucune autre excuse aux
possesseurs d'esclaves, qui plaident pour le maintien de l'esclavage, que
de citer la manière tempérante & heureuse dont leurs Nègres sont
traités, ou de convenir qu'il est à propos d'améliorer leur sort.
De ce choc d'opinions on peut déduire deux vérités incontestables:
La premiere de ces vérités est que l'habitation dont la régie est la plus
raisonnée, la moins arbitraire, où les Nègres sont catéchisés, où on
cherche à leur donner des moeurs, où ils ont quelques propriétés, & une
espece d'existence sociale, est aussi celle qui rapporte des revenus plus
constans à son propriétaire, & que moins les Nègres sont malheureux

plus leur Maître s'enrichit. Les partisans de l'esclavage en conviennent
eux-mêmes.
La seconde vérité, déduite comme l'autre des objections des Colons qui
soutiennent l'esclavage, est que les projets d'humanité que l'on
manifeste en faveur des Noirs ne peuvent s'exécuter en bonne politique
qu'avec du tems & des gradations; qu'un affranchissement illimité &
subit, sans exceptions ni conditions, rempliroit mal le but qu'on se
propose, & même offriroit des inconvéniens: en effet, on doit convenir
que les Nègres nouveaux, ceux non encore accoutumés à notre langue
& à nos usages, ne pourroient sans danger pour nos plantations, ni sans
un inconvénient pour eux-mêmes, être tous à la fois remis en liberté
sans intervalles ni précautions: c'est ainsi que des yeux affoiblis par une
longue obscurité ne pourroient revoir subitement la lumière sans en être
éblouis; il faut la leur rendre par degrés & avec attention.
Cette difficulté est même si forte qu'elle rendroit la destruction de
l'esclavage comme impossible, si on ne commençoit par faire finir la
traite des Noirs, qui vient sans cesse verser des Nègres nouveaux dans
nos Colonies; mais il n'est plus possible de se dissimuler, d'après les
faits exposés à la connoissance publique sur la traite des Noirs, que ce
commerce offre des actes de barbarie si atroces, si continuels & si
indispensables à son entretien, que les personnes honnêtes qui
desireroient conserver l'esclavage des Noirs dans nos Colonies, en le
rectifiant, ne peuvent plus raisonnablement soutenir la continuation de
ce commerce d'esclaves.
Connoissant le pour & le contre de cette question, & les Colonies par
une assez longue expérience, je
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