force du raisonnement & la générosité qui caractérisent les hommes choisis de cette Nation.
Mais l'intérêt & une politique mal entendue viennent leur opposer diverses objections, dont une seule a besoin d'être combattue un moment.
?En supposant que la France & l'Angleterre abandonnassent ensemble le commerce des esclaves, les autres Nations de l'Europe le continueroient à notre détriment, les Espagnols qui ont ouvert leurs ports de l'Amérique méridionale aux étrangers pour les engager à y porter des esclaves, profiteroient de notre abandon pour peupler leurs Colonies: les Américains y ont déjà porté plusieurs cargaisons de Nègres?.
Sans admettre pour cela cette triste politique qui veut toujours ne fonder notre prospérité que sur le dépérissement de nos voisins, on peut répondre à cette objection:
Que si c'est bien fait d'abolir la Traite, si ce parti nous est avantageux, les autres nous imiteront, ou ils auront tort de ne pas le faire.
Que les Espagnols plus qu'aucune autre Nation, sont dans le cas de perdre à cette mauvaise politique de peupler les Colonies de Nègres nouveaux, tandis qu'ils négligeroient & opprimeroient cette immense population d'indigènes dont ils pourroient tirer un parti avantageux par la douceur & la modération, & par une sage administration;
Qu'il est très-raisonnable de penser que le parti pris à la fois par l'Angleterre & par la France, de cesser la Traite des esclaves en Afrique, & d'établir dans ces contrées d'autres moyens de commerce, causera dans les idées de ces peuples une révolution qui rendra plus difficile, ou même fera cesser la Traite des esclaves.--N'avons-nous pas déjà vu un Marabout, Souverain Religieux de ces contrées, interdire dans ses états, par esprit de morale & de religion, le commerce des esclaves, en gréver le passage à travers ses terres par de forts droits & péages. La raison peut être long-tems offusquée; mais quand elle commence à se faire jour ses progrès sont rapides.
DEUXIèME MOYEN.
_Affranchissement des Esclaves Domestiques & autres des Bourgs & Villes._
Puisque la politique & l'intérêt ne peuvent soutenir la nécessité d'avoir des esclaves qu'en prétendant qu'ils sont indispensables aux grandes cultures des Colonies, & à la fabrication du Sucre entr'autres, on ne peut pas dire avec le moindre fondement que des Esclaves soient nécessaires dans les Villes & Bourgs, au service domestique, au travail des Boutiques & des Magasins, à assister les Ouvriers & Entrepreneurs.
Quel abus au contraire, qu'un Matelot parvenu, qu'un simple ouvrier, dès qu'ils peuvent épargner 1000 à 1200 livres, soient à l'instant habiles à posséder un autre homme ou femme en toute propriété, à les traiter avec dédain, à s'en faire servir arbitrairement, à les accabler de coups au moindre caprice, à les louer à d'autres pour en faire à leur gré? Quelle indignité & quelle dégradation à la nature humaine, que cet usage, si général dans les Villes & Bourgs des Colonies, pour la plupart des Blancs, d'acheter des femmes, bien plus souvent dans des vues méprisables, que pour le service domestique, de leur donner ensuite la liberté pour récompense de leurs vices! ou (ce qui est encore pis) de les revendre au moindre caprice ou mécontentement!
Loin que cette partie d'Esclaves serve au progrès & au maintien des Colonies, il est aisé de voir qu'elle est infiniment nuisible à la police, au bon ordre, & aux moeurs; qu'elle est destructive de la population, & que ce sont autant de bras enlevés aux cultures.
Un premier pas très-essentiel à faire, après l'abolition de la Traite, paro?troit donc être celui de renvoyer à la culture, ou d'affranchir sans exception quelconque, tous les Esclaves Domestiques, Journaliers, Ouvriers & autres, des Villes & Bourgs.
Les Habitans gagneroient à cette disposition une augmentation de bras: qu'arriveroit-il? des gens qui vivent uniquement dans les Villes, du tribut qu'ils re?oivent de 2 ou 3 esclaves seroient obligés de les revendre, ou de chercher avec eux dans la culture des moyens de subsister. Quiconque conno?t bien les Colonies, sait que la saine Administration cherche toujours, mais sans succès, à diminuer le nombre par-tout trop grand des Nègres de journées, comme très-nuisible à bien des égards.
Les particuliers qui possèdent en propriété des domestiques loueroient des affranchis: ils en seroient mieux servis; la plus grande cherté en apparence de ce service, seroit qu'on auroit moins de serviteurs inutiles, & ce seroit autant de bras rendus aux cultures. Mais, dira-t-on, où trouver des domestiques libres? Il n'y a pas assez d'affranchis à pouvoir prendre à gages.--Quand cette objection seroit fondée, ce seroit un bien petit inconvénient du moment, auquel on trouveroit bient?t le remede: & on entrevoit que cette disposition procureroit des moyens honnêtes de substituer à la race des affranchis, des Mulatres & Métis libres des deux sexes, qui dans l'état actuel, vivent pour la plupart d'une manière précaire & incertaine, dans la nonchalance, l'oisiveté & le désordre.
Les Marchands qui, pour le transport de leurs ballots, bariques, & effets, etc., louent
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