Quinze Jours en Egypte | Page 8

Fernand Neuray
est encore dans toutes les mémoires. En
1882, au lendemain de la révolte d'Arabi pacha et du massacre
d'Alexandrie, où plusieurs résidents étrangers furent assassinés par la
populace, une intrigue victorieuse de M. Clémenceau l'empêcha de
participer à la répression nécessaire. L'Angleterre, ayant été seule à la
peine, recueillit tout le profit de son effort. L'accord anglo-français, qui
valut à la France, il y a quelques années, le redoutable cadeau du Maroc,
abolit ce qui pouvait lui rester de droits traditionnels.
Son influence, depuis lors, n'a cessé de décroître. En dépit de l'entente
cordiale, le gouvernement anglo-égyptien pensionne, dès qu'il le peut,
quelquefois avant l'âge, les fonctionnaires français, remplacés
incontinent par des anglais. Ses commerçants ne brillent pas en général
par l'initiative. Les nôtres sont plus connus, plus laborieux, plus estimés
et réussissent davantage. Il lui reste, il est vrai, ses missionnaires,
Jésuites et Frères des écoles chrétiennes, ses savants et ses journalistes.
De ceux-ci, j'aime mieux ne pas dire grand'chose. Ils nous ont
gentiment invités à dîner. Puis, ce n'est peut-être pas leur faute si les
journaux égyptiens de langue française ont, au Caire, une si déplorable
réputation. Quelques-uns de ces journaux sont rédigés en français de
Saint-Domingue ou de Haïti. Un au moins, asservi à une loge méprisée,
honore le clergé et la foi catholiques des plus basses injures. Avant de
le lire, je croyais que les orateurs de nos congrès de Libre Pensée
étaient sans rivaux dans ce genre. Je croyais leur pompon sans égal.
Mais il a fallu se rendre à l'évidence, jamais ils ne parleront dans ce
style des «sbires de l'Inquisition» et des «esclaves de Rome». Dans
quelques autres, on fait un plus fréquent emploi de l'escopette que de la
plume. «Payez, et vous serez considérés ...» Ce ne sont pas ces
vengeurs qui rendront jamais l'Égypte à la France.
Les égyptologues français sont incomparables. De son ancienne parure,
il ne lui reste que ces joyaux, mais ils sont en or fin. Mariette, mort à la

tâche, commença, avec d'autres, la glorieuse lignée. M. Maspero jouit
aujourd'hui d'une autorité universelle. Ce sont les savants français qui
ont ressuscité l'Égypte des Pharaons, déblayé les temples, découvert et
décrit les tombeaux. Ses missionnaires la serviraient, sinon avec plus
d'ardeur, peut-être plus efficacement encore si ses gouvernants ne
s'ingéniaient aujourd'hui à les contrarier, à les humilier, voire à les
diffamer. Mais qu'elle y prenne garde. La langue française perd du
terrain au profit de l'anglais. Nos âniers, à Luxor, parlaient couramment
l'anglais. Ils ne savaient pas un mot de français, pas un seul. De même
le drogman Abd-El-Rahim, beau et grave bédouin de vingt-cinq ans,
doux, poli, musulman de la stricte observance, qui nous guida, cinq
jours durant, à travers les ruelles du vieux Caire «non pour gagner de
l'argent, disait-il, mais pour le plaisir de servir de braves gens comme
vous, des amis de M. Jean Capart». Il a tout de même fini par accepter
nos piastres ...
Bref, l'Égypte appartient, en fait, et en dépit de toutes les fictions
diplomatiques, à l'Angleterre. Le représentant de l'Angleterre a le titre
de «consul général de Sa Majesté Britannique», rien de plus. En réalité,
qu'il s'appelle lord Cromer ou sir Gorst, il est le véritable maître du
pays. Vous savez que l'Égypte n'a pas de Parlement. L'exécutif,
ministres et khédive sont dans sa main. Aucune dépense ne peut se
décider, aucune nomination se faire sans son autorisation. Lord Cromer,
qui vient de prendre sa retraite, s'appliquait, dans les premiers temps de
son règne, à ne pas faire sentir le mors. L'impératif ne lui était pas
familier. Il insinuait, il conseillait, il guidait; il n'ordonnait jamais.
L'Angleterre ne témoignera jamais assez de gratitude à cet homme
d'État, éminent entre tous, ouvrier de la première heure, dont le génie
fit de l'Égypte, terre sans maître, proie convoitée par plus d'une
puissance et sur laquelle les droits de la France étaient primordiaux,
une province anglaise. Son gouvernement l'a comblé d'honneurs. On
n'en raconte pas moins, là-bas, qu'il partit, non point volontairement,
mais en disgrâce. J'ai entendu dire que l'habitude du pouvoir avait usé,
à la longue, sa courtoisie et développé ses tendances despotiques.
Gonflé, aigri, remarié sur le tard, confiant dans sa force, il finit par
perdre cette habileté et ce tact souverains auxquels il avait dû, pour une
bonne part, ses premiers succès et la rapidité de sa fortune. Impérieux,

cassant, coupant, il humiliait, par plaisir pur ou par caprice, les
personnalités les plus «considérables». J'ai entendu dire aussi que lord
Cromer manifesta tout haut, et plus d'une fois, qu'il désapprouvait la
campagne menée en Angleterre contre l'État du Congo par les
missionnaires baptistes. Mais l'un n'empêche pas l'autre, évidemment.
La tâche de son successeur, M. Gorst, venant après un politique d'aussi
grande envergure, est malaisée. On lui fait crédit. On l'attend
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