chemin de fer, les villages rassemblent leurs masures carr��es, faites de terre s��ch��e, r��barbatives et sales. Des pigeons, ramass��s en boule, se reposent sur le seuil des colombiers, d?mes minuscules arrondis sur la toiture plate des maisons.
On sait que le Delta est le pays du monde o�� la population est la plus dense: plus de trois cents habitants par kilom��tre carr��. Les villages se succ��dent �� de courts intervalles. Sur tous les chemins--��troites bandes de terre durcie qui longent les champs de coton ou de tr��fle--circulent, en groupes, des fellahs et des fellahines. C'est un continuel d��fil�� de sc��nes chatoyantes. Des laboureurs v��tus de longues robes flottantes, blanches, jaunes ou bleues, dirigent des boeufs, poilus comme des boeufs sauvages, attel��s deux par deux �� des charrues identiques aux charrues d'il y a cinq mille ans, que nous verrons bient?t grav��es sur les parois des tombeaux. Voici un grand gaillard drap�� dans une robe bleu ciel, agit��e et gonfl��e par la brise. Il arpente majestueusement son champ, les mains crois��es sur le dos, pendant que deux femmes accroupies remuent la terre labour��e. Des femmes cheminent, par groupes, emmaillot��es de noir--on dirait des religieuses de chez nous, sauf la guimpe--la figure voil��e, depuis le nez jusqu'au menton, par une bande d'��toffe noire. Voici un vieux paysan sur son ane charg�� de deux sacs en ��quilibre, robe jaune et turban blanc, barbe grise de saint Joseph. Un peu plus loin, quatre dromadaires, �� la file, suivent le chamelier de leur pas solennel, leur grand corps secou�� comme un vaisseau sur la mer.
A toutes les gares, cohue bariol��e et bourdonnante: robes et turbans de toutes les couleurs, fez rouges; paysannes escort��es de marmaille; ?dames? en robe de soie, voil��es de transparente mousseline blanche, un parasol �� la main, affair��es et pr��cieuses; gentlemen en redingote; t��tes fines d'��gyptiens: grosses l��vres, yeux allong��s; arabes, n��gres, soudanais, figures de cuivre, d'��b��ne ou de bronze, figures de patriarches et de proph��tes. R��vons-nous ou sommes-nous au spectacle? Qu'on attende encore un peu avant de baisser le rideau ...
Fellah n'est pas un nom de race, mais seulement de profession. Fellah signifie paysan. Le paysan de la vall��e du Nil descend de la race ��gyptienne primitive. Nous verrons ses anc��tres sur les parois du tombeau de Ti, architecte �� Memphis sous une des premi��res dynasties, qui dort au seuil du d��sert lybique, pr��s des pyramides de Saqqarah, depuis pr��s de six mille ans.
Des restes de couleur sont encore accroch��s aux figures en relief, dont le temps a respect�� l'��l��gant dessin et le groupement harmonieux. Des femmes soutiennent, de leurs bras arrondis, des corbeilles pos��es sur leurs t��tes. Des paysans fauchent et battent le bl��. M��mes visages, m��mes instruments agricoles que ceux de l'��gypte actuelle.
Ces petits anes, robustes, ��l��gants et fins, qui trottinent pour notre amusement dans la plaine du Delta, le long des canaux o�� bombent des voiles blanches, nous les reverrons aussi dans les tombeaux de Saqqarah, o�� ils d��filent, depuis six mille ans, devant l'effigie du ma?tre, grand propri��taire ou fonctionnaire de la Cour. Nous les monterons dans la Haute ��gypte, quand nous galoperons �� travers la plaine, peupl��e de travailleurs et couverte de moissons, vers les ruines et les tombeaux de la vall��e des Rois. Ce n'est pas une des moindres merveilles de ce pays merveilleux que cette identit�� de la race et de la vie d'�� pr��sent avec la race et la vie ressuscit��e apr��s soixante si��cles.
Race admirable, puisqu'elle a r��sist�� au corrosif de l'Islam. On sait que les Arabes convertirent de force, au VIIe si��cle de notre ��re, les paysans ��gyptiens, chr��tiens depuis le deuxi��me. Ils sont beaux, laborieux, prolifiques et sales. Vraisemblablement, l'��gypte aura, dans un demi-si��cle, vingt millions d'habitants. Le coton de la Basse ��gypte est hors prix: cinquante francs le cantar (45 kilogrammes) en 1895; cent francs ou �� peu pr��s, l'ann��e derni��re. Les fellahs s'enrichissent. Il y a quelques semaines, un vieux paysan paya 500,000 francs, rubis sur l'ongle, �� une soci��t�� belge, des terres qu'il venait d'acqu��rir. A le juger sur sa mine, sa crasse et ses haillons, on lui aurait donn�� l'aum?ne! La crise financi��re, qui a fait tant de ravages dans les grandes villes, parmi les colonies europ��ennes surtout, n'a pas atteint les ruraux. Dans toute l'��gypte, la valeur et le loyer de la terre augmentent tous les jours. Il faut sans cesse de nouvelles terres cultivables �� une population qui ne cesse de s'accro?tre.
Il n'y a pas au monde de cultivateur plus laborieux, plus passionn�� que le fellah. Une longue et ��troite bande de terre fertile serr��e entre deux d��serts: voil�� l'��gypte. Le Nil coule au milieu. Jamais de pluie. Chaque ��t��, le flot d��bordant ��tend sur le sol l'eau du fleuve et le limon qu'elle apporte. O�� s'arr��te l'inondation commence, de chaque c?t��, l'aride d��solation du d��sert.
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