Quinze Jours en Egypte | Page 8

Fernand Neuray
effort. L'accord anglo-fran?ais, qui valut à la France, il y a quelques années, le redoutable cadeau du Maroc, abolit ce qui pouvait lui rester de droits traditionnels.
Son influence, depuis lors, n'a cessé de décro?tre. En dépit de l'entente cordiale, le gouvernement anglo-égyptien pensionne, dès qu'il le peut, quelquefois avant l'age, les fonctionnaires fran?ais, remplacés incontinent par des anglais. Ses commer?ants ne brillent pas en général par l'initiative. Les n?tres sont plus connus, plus laborieux, plus estimés et réussissent davantage. Il lui reste, il est vrai, ses missionnaires, Jésuites et Frères des écoles chrétiennes, ses savants et ses journalistes.
De ceux-ci, j'aime mieux ne pas dire grand'chose. Ils nous ont gentiment invités à d?ner. Puis, ce n'est peut-être pas leur faute si les journaux égyptiens de langue fran?aise ont, au Caire, une si déplorable réputation. Quelques-uns de ces journaux sont rédigés en fran?ais de Saint-Domingue ou de Ha?ti. Un au moins, asservi à une loge méprisée, honore le clergé et la foi catholiques des plus basses injures. Avant de le lire, je croyais que les orateurs de nos congrès de Libre Pensée étaient sans rivaux dans ce genre. Je croyais leur pompon sans égal. Mais il a fallu se rendre à l'évidence, jamais ils ne parleront dans ce style des ?sbires de l'Inquisition? et des ?esclaves de Rome?. Dans quelques autres, on fait un plus fréquent emploi de l'escopette que de la plume. ?Payez, et vous serez considérés ...? Ce ne sont pas ces vengeurs qui rendront jamais l'égypte à la France.
Les égyptologues fran?ais sont incomparables. De son ancienne parure, il ne lui reste que ces joyaux, mais ils sont en or fin. Mariette, mort à la tache, commen?a, avec d'autres, la glorieuse lignée. M. Maspero jouit aujourd'hui d'une autorité universelle. Ce sont les savants fran?ais qui ont ressuscité l'égypte des Pharaons, déblayé les temples, découvert et décrit les tombeaux. Ses missionnaires la serviraient, sinon avec plus d'ardeur, peut-être plus efficacement encore si ses gouvernants ne s'ingéniaient aujourd'hui à les contrarier, à les humilier, voire à les diffamer. Mais qu'elle y prenne garde. La langue fran?aise perd du terrain au profit de l'anglais. Nos aniers, à Luxor, parlaient couramment l'anglais. Ils ne savaient pas un mot de fran?ais, pas un seul. De même le drogman Abd-El-Rahim, beau et grave bédouin de vingt-cinq ans, doux, poli, musulman de la stricte observance, qui nous guida, cinq jours durant, à travers les ruelles du vieux Caire ?non pour gagner de l'argent, disait-il, mais pour le plaisir de servir de braves gens comme vous, des amis de M. Jean Capart?. Il a tout de même fini par accepter nos piastres ...
Bref, l'égypte appartient, en fait, et en dépit de toutes les fictions diplomatiques, à l'Angleterre. Le représentant de l'Angleterre a le titre de ?consul général de Sa Majesté Britannique?, rien de plus. En réalité, qu'il s'appelle lord Cromer ou sir Gorst, il est le véritable ma?tre du pays. Vous savez que l'égypte n'a pas de Parlement. L'exécutif, ministres et khédive sont dans sa main. Aucune dépense ne peut se décider, aucune nomination se faire sans son autorisation. Lord Cromer, qui vient de prendre sa retraite, s'appliquait, dans les premiers temps de son règne, à ne pas faire sentir le mors. L'impératif ne lui était pas familier. Il insinuait, il conseillait, il guidait; il n'ordonnait jamais. L'Angleterre ne témoignera jamais assez de gratitude à cet homme d'état, éminent entre tous, ouvrier de la première heure, dont le génie fit de l'égypte, terre sans ma?tre, proie convoitée par plus d'une puissance et sur laquelle les droits de la France étaient primordiaux, une province anglaise. Son gouvernement l'a comblé d'honneurs. On n'en raconte pas moins, là-bas, qu'il partit, non point volontairement, mais en disgrace. J'ai entendu dire que l'habitude du pouvoir avait usé, à la longue, sa courtoisie et développé ses tendances despotiques. Gonflé, aigri, remarié sur le tard, confiant dans sa force, il finit par perdre cette habileté et ce tact souverains auxquels il avait d?, pour une bonne part, ses premiers succès et la rapidité de sa fortune. Impérieux, cassant, coupant, il humiliait, par plaisir pur ou par caprice, les personnalités les plus ?considérables?. J'ai entendu dire aussi que lord Cromer manifesta tout haut, et plus d'une fois, qu'il désapprouvait la campagne menée en Angleterre contre l'état du Congo par les missionnaires baptistes. Mais l'un n'empêche pas l'autre, évidemment.
La tache de son successeur, M. Gorst, venant après un politique d'aussi grande envergure, est malaisée. On lui fait crédit. On l'attend à l'oeuvre. Je l'ai vu, le samedi 21 décembre, à la fête du Tapis Sacré. Fête colorée, pittoresque, régal de choix pour nos yeux d'Occidentaux. Il faudrait, pour la décrire, du temps et des pinceaux. Mais, hélas!
Ce jour-là, le Tapis Sacré prenait, à dos de chameau, le chemin de La Mecque. Il est destiné à orner le
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