Propos de ville et propos de théâtre | Page 2

Henry Murger
va tous les soirs, B... venait de scandaliser la réunion, qui n'a cependant pas la réputation d'être bégueule.--Au lieu de s'excuser, il s'emportait au contraire avec vivacité à propos des reproches qu'il venait de s'attirer.
--Mais, sacrebleu! s'écriait-il, vous dites que je ne sais pas vivre, je suis cependant re?u dans tous les salons.
--De cent couverts... répondit un de ses amis.
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M. X... fut appelé dernièrement par le directeur d'une revue dont le style est aussi gris que la couverture. On désirait avoir un roman du spirituel conteur. Les conditions faites, l'ouvrage est promis.
--Laissez votre adresse, on vous servira la revue, dit le directeur à l'écrivain.
--Volontiers, répliqua celui-ci, mais alors vous m'en payerez l'abonnement en sus.
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Un provincial gras, gros et grossier, véritable muid de sottise et d'écus, entourait de ses hommages une jeune actrice qui est venue au monde avec la prudence du serpent. Aussi crut-elle devoir prendre des renseignements sur son galant départemental, et s'adressa à une amie.
--Tu peux y aller, répondit celle-ci, M*** est un homme qui a du foin dans son assiette.
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M. R... habitué des Variétés, prenait des renseignements sur une demoiselle qui a débuté depuis peu dans les avant-scènes des théatres, les jours de première représentation.
--J'en suis très-épris, disait M. R... à son voisin de stalle. Pensez-vous qu'elle soit inflammable?
--Je ne la crois pas assurée contre ce genre d'incendie, répondit le voisin. Du moins, elle ne porte pas la plaque.
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M. D... est un homme du monde qui s'est fait homme de lettres amateur, et se livre particulièrement au pastiche. Il fait du Balzac, comme M. Ponsard fait du Corneille;--il fait du Musset, comme M. du Terrail fait du Soulié:--il fait du Sand, comme M. Lucas faisait autrefois du Calderon. Chaque fois qu'il a terminé une composition, il va la soumettre à un journaliste de ses amis pour prendre son avis.
Dimanche dernier, il lui apportait un manuscrit à lire.
--Encore un pastiche! dit le journaliste.
--Oui,--une imitation de Jér?me Paturot.
--Oh! c'est trop fort!--interrompit le journaliste,--quand on fait de la fausse monnaie, on ne perd pas son temps à imiter des gros sous.
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Dans un petit théatre du boulevard, il existe un artiste dont l'avarice est arrivée à un tel point qu'il ferait à coup s?r interdire Harpagon comme prodigue, s'il était son père. C'est lui qui, pour s'épargner la dépense du rouge de théatre, a inventé de se serrer le cou outre mesure, pour se faire monter le sang à la tête. Quant au blanc, il prend celui du billard, ou gratte les murs de sa loge. C'est encore lui qui, chargé de jouer le r?le d'un prince généreux, et ayant à dire à un personnage: ?Je t'accorde cent louis sur ma cassette,? ajoutait tout haut: ?Tu m'en feras un re?u.?
Lisant un jour, dans une gazette du théatre, que le public de la ville de *** avait l'habitude de jeter des gros sous aux acteurs trouvés mauvais, c'est lui qui écrivait au directeur du théatre de cette ville, pour lui offrir d'aller y donner des représentations.
Qui dit avare, dit presque toujours usurier. Aussi le cabot en question l'est, et de fa?on à en remontrer à tout Isra?l.--Un soir, pendant un entr'acte, un de ses camarades entre dans sa loge à moitié habillé.
--On va commencer, lui dit-il, ma blanchisseuse ne vient pas; veux-tu me prêter un faux-col?
--Je veux bien, dit l'avare;--mais, après la pièce,--tu me rendras une chemise.
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Madame de G... est liée depuis longtemps avec un homme de lettres chauve,--de succès surtout. Mais, depuis quelque temps, la discorde est dans le ménage.--Un divorce est à l'horizon.
Une amie de madame de G... lui demandait des nouvelles de ses amours avec l'écrivain.
--Ah! ma chère, répliqua celle-ci, cela ne tient plus qu'à son cheveu!
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L. L... a inventé un moyen infaillible pour être servi promptement et être bien servi, dans les restaurants, les jours où il y a encombrement et où les gar?ons, ne pouvant servir tout le monde à la fois, prennent le parti de ne servir personne.
Un dimanche, il était entré avec trois confrères dans un restaurant de la place de la Bourse.--Après vingt minutes d'attente, on n'avait pas même pu obtenir les couverts. Allons-nous-en! s'écrient les invités de L. L.... Celui-ci apaise par un geste son trio d'affamés.--Attendez seulement que j'obtienne un potage,--vous verrez.--Au même instant, passait un gar?on portant une soupière où fumait une bisque appétissante. L. L... s'en empare, à l'aide d'une persuasion matinée de menaces, et sert ses convives à la ronde.--Ce devoir d'amphitryon rempli,--il choisit sur sa tête un long fil, noir encore... et, après l'avoir dextrement arraché, le roule en gracieuse arabesque sur le bord de son assiette.
Ses amis le considèrent avec stupeur.
Tout à coup.... L. L... pousse un juron formidable,
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