Promenades et intérieurs | Page 9

Francois Coppée

manque de courage;
On est pauvre soi-même, on a peur de la rage,

Enfin, mauvais, on fait la mine de lever
Sa canne, on dit au chien:
«Veux-tu bien te sauver!»
Et, tout penaud, il va faire son offre à
d'autres.
La sinistre rencontre! et quels temps sont les nôtres!
Et
quel mal nous ont fait ces féroces Prussiens,
Que les plus pauvres
gens abandonnent leurs chiens
Et que, distrait du deuil public, il faille
encore

Plaindre ces animaux dont le regard implore!
Tableau rural

Au village, en juillet. Un soleil accablant.
Ses lunettes au nez, le
vieux charron tout blanc
Répare, près du seuil, un timon de charrue.

Le curé tout à l'heure a traversé la rue,
Nu-tête. Les trois quarts ont
sonné, puis plus rien,
Sauf monsieur le marquis, un gros richard
terrien,
Qui passe, en berlingot[2] et la pipe à la bouche,
Et qui,
pour délivrer sa jument d'une mouche,
Lance des claquements de
fouet très campagnards
Et fait fuir, effarés, coqs, poules et canards.
Croquis de banlieue
L'homme, en manches de veste, et sous son chapeau noir,
À cause du
soleil, ayant mis son mouchoir,
Tire gaillardement la petite voiture,

Pour faire prendre l'air à sa progéniture,
Deux bébés, l'un qui dort,
l'autre suçant son doigt.
La femme suit et pousse, ainsi qu'elle le doit,

Très lasse, et sous son bras portant la redingote;
Et l'on s'en va
dîner dans une humble gargote
Où sur le mur est peint -- vous savez?
à Clamart! --
Un lapin mort, avec trois billes de billard.
Cheval de Renfort
Le cheval qu'a jadis réformé la remonte
Est là, près du trottoir du
long faubourg qui monte,
Pour qu'on l'attelle en flèche au prochain
omnibus.
Il a cet air navré des animaux fourbus,
Sous son sale
harnais qui traîne par derrière.
Mais lorsque, précédés d'une marche
guerrière,
Des soldats font venir les femmes aux balcons,
Il se
souvient alors du sixième dragon
Et du soleil luisant sur les lattes
vermeilles;
Et le vieux vétéran redresse les oreilles.
Au bord de la Marne
C'est régate à Joinville. On tire le pétard.
Les cinq canots, deux en
avant, trois en retard,
Partent, et de soleil la rivière est criblée.
Sur
la berge, là-bas, la foule est assemblée,
Et la gendarmerie est en
pantalon blanc.
-- Et l'on prévoit, ce soir, les rameurs s'attablant
Au

cabaret, les chants des joyeuses équipes,
Les nocturnes bosquets
constellés par les pipes,
Et les papillons noirs qui, dans l'air échauffé,

Se brûlent au cognac flambant sur le café.
Rythme des vagues
J'étais assis devant la mer sur le galet.
Sous un ciel clair, les flots d'un
azur violet,
Après s'être gonflés en accourant du large,
Comme un
homme accablé d'un fardeau s'en décharge,
Se brisaient devant moi,
rythmés et successifs
J'observais ces paquets de mer lourds et massifs

Qui marquaient d'un hourra leurs chutes régulières
Et puis se
retiraient en râlant sur les pierres.
Et ce bruit m'enivrait; et pour
écouter mieux
Je me voilai la face et je fermai les yeux.
Alors, en
entendant les lames sur la grève
Bouillonner et courir, et toujours, et
sans trêve
S'écrouler en faisant ce fracas cadencé,
Moi, l'humble
observateur du rythme, j'ai pensé
Qu'il doit être en effet une chose
sacrée,
Puisque Celui qui sait, qui commande et qui crée,
N'a tiré du
néant ces moyens musicaux,
Ces falaises au roc creusé par les échos,

Ces sonores cailloux, ces stridents coquillages,
Incessamment
heurtés et roulés sur les plages
Par la vague, pendant tant de milliers
d'hivers,
Que pour que l'Océan nous récitât des vers.
Matin d'octobre
C'est l'heure exquise et matinale
Que rougit un soleil soudain.
À
travers la brume automnale
Tombent les feuilles du jardin.
Leur
chute est lente. On peut les suivre
Du regard en reconnaissant
Le
chêne à sa feuille de cuivre,
L'érable à sa feuille de sang.
Les
dernières, les plus rouillées,
Tombent des branches dépouillées:

Mais ce n'est pas l'hiver encor.
Une blonde lumière arrose
La nature,
et, dans l'air tout rose,
On croirait qu'il neige de l'or.
Musée de marine

Au Louvre, je vais voir ces délicats modèles
Qui montrent aux oisifs
les richesses d'un port,
Je connais l'armement des vaisseaux de
haut-bord
Et la voilure des avisos-hirondelles.
J'aime cette flottille
avec ses bagatelles,
Le carré d'Océan qui lui sert de support,
Ses
petits canons noirs se montrant au sabord,
Et ses mille haubans fins
comme des dentelles.
Je suis un loup de mer et sais apprécier
Le
blindage de cuivre et les ancres d'acier:
Car tous ces riens de bois, de
ficelle et de liège
M'ont souvent fait trouver les dimanches bien
courts.
Et, forçat de Paris dès longtemps pris au piège,
C'est là que
j'ai rêvé le voyage au long cours.
Nostalgie parisienne
Bon Suisse expatrié, la tristesse te gagne,
Loin de ton Alpe blanche
aux éternels hivers;
Et tu songes alors aux prés de fleurs couverts,
À
la corne du pâtre, au loin, dans la montagne.
Lassé parfois, je fuis la
ville comme un bagne,
Et son ciel fin, miré dans la Seine aux flots
verts.
Mais c'est là que mes yeux d'enfant se sont ouverts,
Et le mal
du pays me prend, à la campagne.
Le vrai fils de Paris ne regrette pas
moins
Le relent du pavé que, toi, l'odeur des foins.
Montagnard
nostalgique, -- il faut que tu le saches, --
Mon coeur, comme le tien,
fidèle et casanier,
Souffre en exil, et l'air
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