Promenades et intérieurs | Page 8

Francois Coppée

Avril
Lorsqu'un homme n'a pas d'amour,
Rien du printemps ne l'intéresse;

Il voit même sans allégresse,
Hirondelles, votre retour;
Et, devant
vos troupes légères
Qui traversent le ciel du soir,
Il songe que
d'aucun espoir
Vous n'êtes pour lui messagères.
Chez moi ce spleen
a trop duré,
Et quand je voyais dans les nues
Les hirondelles
revenues,
Chaque printemps, j'ai bien pleuré.
Mais, depuis que
toute ma vie
A subi ton charme subtil,
Mignonne, aux promesses
d'Avril
Je m'abandonne et me confie.
Depuis qu'un regard
bien-aimé
A fait refleurir tout mon être,
Je vous attends à ma

fenêtre,
Chères voyageuses de Mai.
Venez, venez vite, hirondelles,

Repeupler l'azur calme et doux,
Car mon désir qui va vers vous

S'accuse de n'avoir pas d'ailes.
Mai
Depuis un mois, chère exilée,
Loin de mes yeux tu t'en allas,
Et j'ai
vu fleurir les lilas
Avec ma peine inconsolée.
Seul, je fuis ce ciel
clair et beau
Dont l'ardent effluve me trouble,
Car l'horreur de l'exil
se double
De la splendeur du renouveau.
En vain j'entends contre
les vitres,
Dans la chambre où je m'enfermai,
Les premiers insectes
de Mai
Heurter leurs maladroits élytres;
En vain le soleil a souri;

Au printemps je ferme ma porte
Et veux seulement qu'on m'apporte

Un rameau de lilas fleuri;
Car l'amour dont mon âme est pleine

Retrouve, parmi ses douleurs,
Ton regard dans ces chères fleurs
Et
dans leur parfum ton haleine.
Juin
Dans cette vie ou nous ne sommes
Que pour un temps si tôt fini,

L'instinct des oiseaux et des hommes
Sera toujours de faire un nid;

Et d'un peu de paille ou d'argile
Tous veulent se construire, un jour,

Un humble toit, chaud et fragile,
Pour la famille et pour l'amour.

Par les yeux d'une fille d'Ève
Mon coeur profondément touché

Avait fait aussi ce doux rêve
D'un bonheur étroit et caché.
Rempli
de joie et de courage,
À fonder mon nid je songeais;
Mais un
furieux vent d'orage
Vient d'emporter tous mes projets;
Et sur mon
chemin solitaire
Je vois, triste et le front courbé,
Tous mes espoirs
brisés à terre
Comme les oeufs d'un nid tombé.
Août
Par les branches désordonnées
Le coin d'étang est abrité,
Et là
poussent en liberté
Campanules et graminées.
Caché par le tronc
d'un sapin,
J'y vais voir, quand midi flamboie,
Les petits oiseaux

pleins de joie
Se livrer au plaisir du bain.
Aussi vifs que des
étincelles,
Ils sautillent de l'onde au sol,
Et l'eau, quand ils prennent
leur vol,
Tombe en diamants de leurs ailes.
Mais mon coeur lassé
de souffrir
En les admirant les envie,
Eux qui ne savent de la vie

Que chanter, aimer et mourir!
Décembre
Le hibou parmi les décombres
Hurle, et Décembre va finir;
Et le
douloureux souvenir
Sur ton coeur jette encor ses ombres.
Le vol de
ces jours que tu nombres,
L'aurais-tu voulu retenir?
Combien seront,
dans l'avenir,
Brillants et purs; et combien, sombres?
Laisse donc
les ans s'épuiser.
Que de larmes pour un baiser,
Que d'épines pour
une rose!
Le temps qui s'écoule fait bien;
Et mourir ne doit être rien,

Puisque vivre est si peu de chose.
III
En faction
Sur le rempart, portant mon lourd fusil de guerre,
Je vous revois, pays
que j'explorais naguère,
Montrouge, Gentilly, vieux hameaux oubliés

Qui cachez vos toits bruns parmi les peupliers.
Je respire, surpris,
sombre ruisseau de Bièvre,
Ta forte odeur de cuir et tes miasmes de
fièvre.
Je vous suis du regard, pauvres coteaux pelés,
Tels encor
que jadis je vous ai contemplés,
Et dans ce ciel connu, mon souvenir
s'étonne
De retrouver les tons exquis d'un soir d'automne;
Et mes
yeux sont mouillés des larmes de l'adieu.
Car mon rêve a souvent erré
dans ce milieu
Que va bouleverser la dure loi du siège.
Jusqu'ici
j'allongeais la chaîne de mon piège;
Triste captif, ayant Paris pour ma
prison,
Longtemps ce fut ici pour moi tout l'horizon;
Ici j'ai pris
l'amour des couchants verts et roses;

Penché dès le matin sur des
papiers moroses,
Dans une chambre où ma fantaisie étouffait,
C'est
ici que souvent, le soir, j'ai satisfait,
À cette heure où la nuit monte au

ciel et le gagne,
Mon désir de lointain, d'air libre et de campagne.

Me reprochera-t-on, dans cet affreux moment,
Un regret pour ce coin
misérable et charmant?
Car il va disparaître à tout jamais. Sans doute,

Les boulets vont couper les arbres de la route;
Et l'humble cabaret
où je me suis assis,
Incendié déjà, fume au pied du glacis;
Dans ce
champ dépouillé, morne comme une tombe,
Il croule, abandonné.
Regardez. Une bombe
A crevé ces vieux murs qui gênaient pour le tir:

Et, tels que mon regret qui ne veut pas partir,
Se brûlant au vieux
toit, quelques pigeons fidèles
L'entourent, en criant, de leurs
battements d'ailes.
Le chien perdu
Quand on rentre, le soir, par la cité déserte,
Regardant sur la boue
humide, grasse et verte,
Les longs sillons du gaz tous les jours moins
nombreux,
Souvent un chien perdu, tout crotté, morne, affreux,
Un
vrai chien de faubourg, que son trop pauvre maître
Chassa d'un coup
de pied en le pleurant peut-être,
Attache à vos talons obstinément son
nez
Et vous lance un regard si vous vous retournez.
Quel regard!
long, craintif, tout chargé de caresse,
Touchant comme un regard de
pauvre ou de maîtresse,
Mais sans espoir pourtant, avec cet air
douteux
De femme dédaignée et de pauvre honteux.
Si vous vous
arrêtez, il s'arrête, et, timide,
Agite faiblement sa queue au poil
humide.
Sachant bien que son sort en vous est débattu,
Il semble
dire: -- Allons, emmène-moi, veux-tu?
On est ému, pourtant on
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