s'empêcher de saisir ce bout de conversation:
--Alors je vous mettrai en pension quelque part à la campagne. Il m'est impossible de faire plus.
--Je te le répète, fils dénaturé, je mourrai dans ce galetas. Je n'accepterai pas cette bouchée de pain que tu me jettes comme à un chien. Tu as honte de moi! Eh bien! tu ne seras pas longtemps exposé à rougir de ton père!
à ce moment Lamirande frappa à la porte entrouverte.
--C'est sans doute quelque pauvre voisin du quartier, dit tout bas le vieillard à son fils. Va ouvrir. On croira que c'est une simple visite de charité que tu fais à un étranger malade.
La porte s'ouvrit et Lamirande se trouva face à face avec Aristide Montarval, jeune Fran?ais, riche, brillant, établi au Québec depuis plusieurs années. Sans être amis, les deux hommes se connaissaient bien. Un instant ils échangèrent un regard qui valait de longues explications. Lamirande put lire sur le visage du jeune Fran?ais, le dépit, la crainte, la colère, la rage même; tandis que Montarval resta comme interdit sous l'empire de ces yeux qui, il le sentait bien, plongeaient jusqu'au fond de son ame.
Ce fut cependant Montarval qui, payant d'audace, rompit le silence:
--Que venez-vous faire ici? dit-il sur un ton hautain et provocateur.
Je viens soulager votre père, puisque vous l'abandonnez aux soins des étrangers, répondit Lamirande avec calme.
--Ah! c'est comme cela que vous écoutez aux portes hypocrite que vous êtes, s'écria Montarval hors de lui-même.
Lamirande ne daigna pas lui répondre et l'écartant d'un geste, il pénétra dans la chambre et se rendit auprès du vieillard que cette scène avait fortement ému.
--Monsieur, lui dit Lamirande, en montant l'escalier, j'ai surpris bien involontairement votre secret. Souffrez que je vous amène chez moi.
Le vieillard fondit en larmes.
--Oh! dit-il, que vous êtes bon! mais je ne puis accepter votre offre. Je veux mourir ici inconnu, afin que mon fils n'ait pas honte de moi. Car c'est mon fils unique, et je l'aime, malgré tout ce qu'il m'a fait souffrir.
En parlant ainsi, le vieillard s'était assis sur son grabat. Lamirande put constater la ressemblance entre les traits du père et ceux du fils. Deux visages assombris, l'un par le chagrin, l'autre par les passions. Le père inspirait de la sympathie, le fils, une invincible répugnance.
Lamirande s'assied à c?té du vieillard, et passe doucement son bras autour de lui pour le soutenir.
--Parlez, monsieur. épanchez votre coeur, cela vous soulagera.
--Ah! mon fils, poursuivit le vieillard, comme s'il parlait à lui-même, je ne le maudis pas, car s'il est mauvais aujourd'hui, c'est ma faute. Je l'ai élevé sans correction, j'ai laissé ses caprices, ses funestes penchants grandir avec lui. Il me semblait que c'était là de l'amour paternel. Aujourd'hui je vois ma folie. Il m'a ruiné. Puis il a quitté la France, il y a bien des années. Je ne savais pas où il était, car il ne m'écrivait jamais. Ce fut par hasard que je vis dans un journal canadien, qu'il était établi à Québec, qu'il était riche. Je l'aimais toujours, et résolus de venir le retrouver, car j'étais si seul. Ah! que ne suis-je resté là-bas, dans ma solitude. J'étais pauvre, j'avais du chagrin en pensant à mon fils absent; mais au moins je n'avais pas le coeur brisé comme il l'est aujourd'hui.... J'avais juste assez de petites économies pour payer mon passage à Québec. En arrivant ici je me suis rendu tout droit chez mon fils....
La voix du vieillard s'étouffa dans les sanglots. Après quelques instants, il continua:
--Le malheureux! il ne voulut pas reconna?tre son père! Il me traita d'imposteur, me mit à la porte de sa maison et me dit, avec des menaces, de ne plus jamais mettre les pieds. Vous comprenez le reste. Je me suis réfugié ici pour mourir'
Lamirande, vivement impressionné par ce récit, laissa le vieillard pleurer en silence pendant quelques instants, le soutenant toujours. Puis il l'interrogea doucement.
--Mais si votre fils n'a pas voulu vous reconna?tre, comment se fait-il donc qu'il soit venu vous trouver ici?
--Je voudrais croire à un mouvement de repentir, mais hélas! par ce qu'il m'a dit, je vois trop qu'il n'a agi que par peur du scandale. Il a craint que mon histoire ne f?t connue.... Il a voulu m'envoyer dans un h?pital ou me mettre en pension à la campagne. Il rougirait d'avoir son vieux père chez lui. Je ne puis accepter le morceau de pain qu'il me jette.... C'était son coeur que je voulais; il me le refuse.... Je n'ai qu'à mourir inconnu pour lui épargner la honte....
Un nouveau paroxysme de sanglots l'empêcha de continuer.
Pendant que le vieillard exhalait ainsi la douleur, le fils avait allumé un cigare, et, le dos tourné vers le lit, il regardait par la fenêtre, tambourinant sur les vitres crasseuses. Profitant de l'interruption dans les confidences de son père, il se retourna vivement. Il
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