Pour cause de fin de bail | Page 5

Alphonse Allais
à celui-là, de codifier la protection de la vie humaine et de la propriété!)
? Je ne vole que les riches, et c'est du superflu de ces messieurs que je forge mon nécessaire.
? Jusqu'à présent, n'est-ce pas, mon cher Allais, rien d'extraordinaire; mais voici éclater mon originalité:
? Non seulement je me moque du Code, mais aussi je me ris de la maréchaussée.
? Je me suis rendu imprenable, ou à peu près (car, en ce bas-monde, on ne peut répondre de rien).
? Aidé d'une femme remarquablement intelligente, ma ma?tresse, je dérobe (et rien n'est plus facile) les enfants en bas age appartenant à des familles riches.
? Le soir même de ce rapt, la famille riche du bébé re?oit, par une voie mystérieuse, une lettre et un panier renfermant un pigeon voyageur.
? La lettre dit en substance: ? Famille riche, si tu veux revoir ton pauvre enfant, insère dans la pochette attachée au cou du présent pigeon, dix jolis billets de mille francs, et demain matin, à la première heure, ton pauvre sale gosse te sera rendu.?
? Ce truc si simple ne rate jamais; allez donc suivre un pigeon voyageur dans les hautains firmaments!
? Mon pigeonnier est établi dans une nation voisine de la France, en un petit endroit plut?t écarté dont vous m'excuserez de ne pas vous indiquer l'adresse exacte.
? Et puis, tout cela, entre nous, n'est-ce pas, car ce genre d'industrie un peu spéciale ne gagne rien à une publicité, si intelligente soit-elle.
? Je serre, cher monsieur Allais, votre rude main caleuse de travailleur opiniatre.
Signature illisible, Pas d'adresse.
Où s'arrêteront l'audace et l'ingéniosité des malfaiteurs? C'est ce que se demandent les honnêtes gens, non sans une certaine appréhension.

SENTINELLES, VEILLEZ!
Aux yeux de tous les personnages compétents, le chien est appelé à jouer un r?le considérable dans les grandes guerres européennes.
Chiens sentinelles, chiens éclaireurs, chiens anticyclistes, chiens estafettes, on les met à toutes les sauces, les pauvres toutous.
Dans ce curieux sport, l'Allemagne, sans contredit, marche à la tête des autres nations militaires, et, chaque jour, c'est à qui de MM. les officiers prussiens imaginera une nouvelle application du chien à un emploi militaire.
Me promenant récemment dans les environs les moins explorés de Koenigsberg, j'ai été assez heureux pour assister (par le plus grand des hasards, d'ailleurs, car je m'étais trompé de route) à des exercices infiniment suggestifs et qu'il importe de dévoiler au plus t?t.
On jugera de la stupeur qui m'envahit quand, d'un petit bois où je me trouvais égaré, j'aper?us la scène suivante:
Des soldats fran?ais et des soldats russes (je crus rêver!) ou plut?t--disons-le dès maintenant--des Allemands déguisés en Fran?ais et en Russes, fantassins, cavaliers, artilleurs, etc., etc., donnaient à manger à une forte meute de chiens, de ces gros chiens comme on en rencontre dans les Flandres, qui tra?nent des voitures à lait.
Et c'étaient des caresses, et c'étaient des bonnes paroles et de gros morceaux de viande!
Quand les chiens furent bien gavés, tous ces faux Fran?ais, tous ces pseudo-Russes les attelèrent à de petits chariots, les attachèrent à des piquets, grimpèrent à cheval et disparurent bient?t au loin.
Quelques instants plus tard surgissaient d'autres soldats, d'uniforme allemand ceux-là, qui se précipitèrent sur les chiens à coups de pied, à coups de fouet, et arrachant aux pauvres animaux les quelques os qu'ils rongeaient encore.
Après quoi, ils les détachèrent au son de mille horribles clameurs.
Comme bien vous le pensez, les infortunées bêtes n'attendirent point leur reste: en quelques minutes, tous les chiens, au grand galop, avaient rejoint leurs bienfaiteurs fran?ais et russes, là-bas, dans la campagne.
Qu'est-ce que cet étrange manège pouvait bien signifier?
Je résolus d'en avoir le coeur net et, au risque de me faire coffrer, je prolongeai mon séjour à Koenigsberg, poursuivant sans relache et avec une remarquable intelligence mes patriotiques investigations.
La conversation d'un lieutenant pris de boisson me mit bient?t au courant.
Les chiens dont je viens de parler sont en cas de guerre, dressés à fuir, eux et leurs attelages, les troupes allemandes, pour aller rejoindre ces Fran?ais, ces Russes, dont ils n'ont jamais re?u que de bons traitements.
Les petites voitures qu'ils tra?nent derrière eux seront alors chargées d'effroyables substances dont l'explosion mettra fin à des milliers d'existences.
Le moment de la détonation peut être déterminé à une seconde près, grace à un système d'horlogerie qu'on règle selon la distance qui sépare de l'ennemi.
Et ?a n'est pas plus difficile que ?a!
J'ajouterai que, ces chiens étant rendus aphones par une opération chirurgicale et les roulements des chariots se faisant sur caoutchouc, pas un bruit ne saurait révéler l'approche de cette terrible et ambulante machine infernale.
Messieurs les Fran?ais, vous voilà avertis!

UN BIZARRE ACCIDENT
Voulez-vous, mes petits amis, pour nous délasser un instant de la fixité de nos regards vers l'Est, jeter un léger coup d'oeil sur le laps de ces trente derniers ans passés, et alors, nous serons stupéfaits en considérant les progrès énormes accomplis par la
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