Pour cause de fin de bail | Page 7

Alphonse Allais

Un vieux camarade, étrange type et fertile en avatars, s'y trouvait déjà.
--Comment va?
--Et toi?... Rien de neuf?
Je présentai mon jeune ami au personnage.
Justement cela tombait bien, le personnage venant d'acquérir un journal
du soir et recrutant pour son organe une rédaction jeune, ardente et pas
encore compromise. C'était touchant d'entendre le monsieur parler de la
sorte.
Il fut convenu que mon protégé ferait partie du vespéral canard en
question et qu'il écrirait chaque jour un Croquis de Paris de vingt ou
trente lignes.
--Mais, protestait mollement le jouvenceau, je ne sais pas si je saurai,
moi d'hier à Paris, écrire des choses bien parisiennes.

--Au contraire, mon garçon! affirmait l'autre. Ce sera bien mieux ainsi.
Vous verrez Paris sous l'angle charmant de vos yeux ingénus et vous le
décrirez d'une plume non encore souillée des mille compromissions de
la capitale!
(Mon vieux camarade use parfois de ces termes grandiloquents.)
--Alors, entendu.
--Quant aux appointements,--je vous avoue que je suis pour l'instant un
peu serré,--je ne saurais donc vous gorger d'or. Je vous offre 150 fr. par
mois--somme dérisoire, je le sais... Ce sera pour vos cigares...
--Je ne fume pas.
--Tous mes compliments, jeune homme; je voudrais pouvoir en dire
autant.
Ce fut donc convenu.
Dès le lendemain, le jeune homme entrait en fonctions.
Chaque jour, il abattit son petit Croquis de Paris, pas plus mal qu'un
autre, ma foi, et même souvent de fort gentille tournure.
À la fin du mois, un peu ému, il se présentait à la caisse.
--Vous désirez? fit l'argentier.
--Je suis M. Un Tel, j'appartiens depuis un mois à la rédaction du
journal, à raison de 150 fr. par mois, lesquels cent cinquante francs
j'aimerais bien toucher à cette heure.
--Je n'ai pas d'ordre, monsieur. Voyez le directeur.
D'un bond, le jeune homme était chez le directeur.
--On refuse à la caisse de me régler mon traitement de ce mois.

--Quel traitement?
--Les 150 fr. que vous m'avez promis.
--Pardon, jeune homme, je vous ai, en effet, promis 150 fr.; mais,
avais-je ajouté, c'était pour vos cigares. Or, vous m'avez déclaré
vous-même que vous ne fumiez pas.
--!!!!!

LA SCIENCE ET LA RELIGION--ENFIN--MARCHENT LA MAIN
DANS LA MAIN
(Panneau allégorique)
Vous souvient-il de cette amusante scène d'une vieille opérette d'Hervé,
dans laquelle, un homme venant d'avoir l'oeil crevé par accident, arrive
le médecin mandé à la hâte?
Au lieu de se ruer vers le plus immédiat des pansements, l'homme de
l'art s'assied dans un fauteuil, et, doctoralement, s'informe des
antécédents, et surtout des ascendances du blessé.
--N'auriez-vous pas eu, s'enquiert-il, dans vos parents, quelqu'un qui fût
sujet aux affections des yeux?
Aux temps héroïques de l'admirable Hervé, les microbes n'existaient
pas, ou plutôt ils existaient mais n'avaient pas encore essuyé
l'effroyable publicité qui sévit sur eux depuis quelques années et dont
ils se passeraient si bien, d'ailleurs.
Sans cela, Hervé eût complété sa plaisanterie et, sur des rythmes
loufoques, expliqué que l'accident du bonhomme provenait, non point
d'un cruel traumatisme comme on aurait pu se l'imaginer, mais bien de
l'existence préalable d'un virulent microbe, le microbe de l'oeil crevé.
Ne riez pas, frivoles lecteurs!

Si nous n'avons pas encore le microbe de l'oeil crevé, nous détenons, au
moins, celui du coup de soleil!
Ne continuez pas à rire, captivantes lectrices!
Le microbe de l'insolation vient d'être découvert et isolé par un
médecin autrichien, si j'en crois (et j'en crois) la docte Causerie
scientifique de notre savant et pittoresque confrère Henry de Varigny
(le Temps, de samedi dernier).
Oui, mesdames et messieurs, l'insolation n'est plus un accident dû à la
chaleur, il devient l'effet d'une infection microbienne que--le savant
autrichien consent à admettre ce léger détail--favorisent les hautes
températures.
«Cette méchante bestiole--je copie mon auteur--se tient avec
prédilection dans la poussière du sol; elle hante surtout les routes un
peu encaissées où elle guette le passant pour se précipiter dans ses
poumons, tandis qu'il halète, et l'infecter.
» Il est vrai que le nombre et la variété des microbes qui se peuvent
rencontrer dans la poussière de nos routes sont grands, et, dès lors, le
signalement manque de précision. Apprenez alors que ce microbe
présente encore ce caractère de ressembler beaucoup au microbe de la
petite vérole.»
Suivent quelques lignes sceptiques de notre chroniqueur physiologiste.
Je ne partage pas, moi, l'affreux doute de M. de Varigny, et je me rallie
à cette doctrine panmicrobiste qui rassemble déjà tant de passionnés
adhérents.
Et celui qui tient en moi ce langage, ce n'est pas tant le savant austère
que le catholique fervent.
La prescience de Dieu, l'intégrale prescience de Dieu, n'est-ce point le
dogme indiscutable, fondamental et sacré?

Alors quoi d'étonnant à ce que Dieu, lequel a créé les microbes, comme
il a créé toutes choses et tous êtres, quoi d'étonnant à ce que Dieu opère
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