Portraits litteraires, Tome II. | Page 6

C.-A. Sainte-Beuve
On le mit dans une pension, à ce qu'il para?t, d'où il suivit, comme externe, le collége de Clermont, depuis de Louis-le-Grand, dirigé par les jésuites.
[Note 4: J'ai mis surtout à contribution, dans cette étude sur Molière, l'Histoire de sa Vie et de ses Ouvrages par M. Taschereau; c'est un travail complet et définitif dont il faut conseiller la lecture sans avoir la prétention d'y suppléer. M. Taschereau a bien voulu y joindre envers moi tous les secours de son obligeance amicale pour les renseignements et sources directes auxquelles je voulais remonter. J'ai beaucoup usé aussi de la Notice et du Commentaire de M. Auger, travail trop peu recommandé ou même déprécié injustement. C'est dans ce Commentaire qu'à propos du vers des Femmes savantes:
On voit partout chez vous l'ithos et le pathos,
M. Auger, ne s'apercevant pas que ithos n'est autre que êthos, plus correctement prononcé, se mit en de faux frais d'étymologie. On en plaisanta dans le temps beaucoup plus qu'il ne fallait, et ce rire facile couvrit les louanges dues à l'ensemble du très-estimable Commentaire.--Il y a eu, depuis, un travail critique de Bazin sur Molière, mais je laisse à ma notice son cachet antérieur.]
Cinq ans lui suffirent pour achever tout le cours de ses études, y compris la philosophie; il fit de plus au collége d'utiles connaissances, et qui influèrent sur sa destinée. Le prince de Conti, frère du grand Condé, fut un de ses condisciples et s'en ressouvint toujours dans la suite. Ce prince, bien qu'ecclésiastique d'abord, et tant qu'il resta sous la conduite des jésuites, aimait les spectacles et les défrayait magnifiquement; en se convertissant plus tard du c?té des jansénistes, et en rétractant ses premiers go?ts au point d'écrire contre la comédie, il sembla transmettre du moins à son illustre a?né le soin de protéger jusqu'au bout Molière. Chapelle devint aussi l'ami d'études de Poquelin et lui procura la connaissance et les le?ons de Gassendi, son précepteur. Ces le?ons privées de Gassendi étaient en outre entendues de Bernier, le futur voyageur, et de Hesnault connu par son invocation à Vénus; elles durent influer sur la fa?on de voir de Molière, moins par les détails de l'enseignement que par l'esprit qui en émanait, et auquel participèrent tous les jeunes auditeurs. Il est à remarquer en effet combien furent libres d'humeur et indépendants tous ceux qui sortirent de cette école: et Chapelle le franc parleur, l'épicurien pratique et relaché; et ce po?te Hesnault qui attaquait Colbert puissant, et traduisait à plaisir ce qu'il y a de plus hardi dans les choeurs des tragédies de Sénèque; et Bernier qui courait le monde et revenait sachant combien sous les costumes divers l'homme est partout le même, répondant à Louis XIV, qui l'interrogeait sur le pays où la vie lui semblerait meilleure, que c'était la Suisse, et déduisant sur tout point ses conclusions philosophiques, en petit comité, entre mademoiselle de Lenclos et madame de La Sablière. Il est à remarquer aussi combien ces quatre ou cinq esprits étaient de pure bourgeoisie et du peuple: Chapelle, fils d'un riche magistrat, mais fils batard; Bernier, enfant pauvre, associé par charité à l'éducation de Chapelle; Hesnault, fils d'un boulanger de Paris; Poquelin, fils d'un tapissier; et Gassendi leur ma?tre, non pas un gentilhomme, comme on l'a dit de Descartes, mais fils de simples villageois. Molière prit dans ces conférences de Gassendi l'idée de traduire Lucrèce; il le fit partie en vers et partie en prose, selon la nature des endroits; mais le manuscrit s'en est perdu. Un autre compagnon qui s'immis?a à ces le?ons philosophiques fut Cyrano de Bergerac, devenu suspect à son tour d'impiété par quelques vers d'Agrippine, mais surtout convaincu de mauvais go?t. Molière prit plus tard au Pédant joué de Cyrano deux scènes qui ne déparent certainement pas les Fourberies de Scapin: c'était son habitude, disait-il à ce propos, de reprendre son bien partout où il le trouvait; et puis, comme l'a remarqué spirituellement M. Auger, en agissant de la sorte avec son ancien camarade, il ne semblait guère que prolonger cette coutume de collège par laquelle les écoliers sont faisants et mettent leurs gains de jeu en commun. Mais Molière, qui n'y allait jamais petitement, ne s'avisa pas de cette fine excuse.
Au sortir de ses classes, Poquelin dut remplacer son père trop agé dans la charge de valet-de-chambre-tapissier du roi, qu'on lui assura en survivance. Il suivit, pour son noviciat, Louis XIII dans le voyage de Narbonne en 1641, et fut témoin, au retour, de l'exécution de Cinq-Mars et de De Thou: amère et sanglante dérision de la justice humaine. Il para?t que, dans les années qui suivirent, au lieu de continuer l'exercice de la charge paternelle, il alla étudier le droit à Orléans et s'y fit recevoir avocat. Mais son go?t du théatre l'emporta décidément, et, revenu à
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