Portraits litteraires, Tome I | Page 3

C.-A. Sainte-Beuve
��vidence plus enti��re et plus ��clatante que lorsqu'elle ressuscite les hommes d'��tat, les conqu��rants, les th��ologiens, les philosophes; mais quand elle s'applique aux po��tes et aux artistes, qui sont souvent des gens de retraite et de solitude, les exceptions deviennent plus fr��quentes et il est besoin de prendre garde. Tandis que dans les ordres d'id��es diff��rents, en politique, en religion, en philosophie, chaque homme, chaque oeuvre tient son rang, et que tout fait bruit et nombre, le m��diocre �� c?t�� du passable, et le passable �� c?t�� de l'excellent, dans l'art il n'y a que l'excellent qui compte; et notez que l'excellent ici peut toujours ��tre une exception, un jeu de la nature, un caprice du ciel, un don de Dieu. Vous aurez fait de beaux et l��gitimes raisonnements sur les races ou les ��poques prosa?ques; mais il plaira �� Dieu que Pindare sorte un jour de B��otie, ou qu'un autre jour Andr�� Ch��nier naisse et meure au XVIIIe si��cle. Sans doute ces aptitudes singuli��res, ces facult��s merveilleuses re?ues en naissant se coordonnent toujours t?t ou tard avec le si��cle dans lequel elles sont jet��es et en subissent d��s inflexions durables. Mais pourtant ici l'initiative humaine est en premi��re ligne et moins sujette aux causes g��n��rales; l'��nergie individuelle modifie, et, pour ainsi dire, s'assimile les choses; et d'ailleurs, ne suffit-il pas �� l'artiste, pour accomplir sa destin��e, de se cr��er un asile obscur dans ce grand mouvement d'alentour, de trouver quelque part un coin oubli��, o�� il puisse en paix tisser sa toile ou faire son miel? Il me semble donc que lorsqu'on parle d'un artiste et d'un po?te, surtout d'un po?te qui ne repr��sente pas toute une ��poque, il est mieux de ne pas compliquer d��s l'abord son histoire d'un trop vaste appareil philosophique, de s'en tenir, en commen?ant, au caract��re priv��, aux liaisons domestiques, et de suivre l'individu de pr��s dans sa destin��e int��rieure, sauf ensuite, quand on le conna?tra bien, �� le traduire au grand jour, et �� le confronter avec son si��cle. C'est ce que nous ferons simplement pour Boileau.
Fils d'un p��re greffier, n�� d'a?eux avocats (1636), comme il le dit lui-m��me dans sa dixi��me ��p?tre, Boileau passa son enfance et sa premi��re jeunesse rue de Harlay (ou peut-��tre rue de J��rusalem), dans une maison du temps d'Henri IV, et eut �� loisir sous les yeux le spectacle de la vie bourgeoise et de la vie de palais. Il perdit sa m��re en bas age; la famille ��tait nombreuse et son p��re tr��s-occup��; le jeune enfant se trouva livr�� �� lui-m��me, log�� dans une gu��rite au grenier. Sa sant�� en souffrit, son talent d'observation dut y gagner; il remarquait tout, maladif et taciturne; et comme il n'avait pas la tournure d'esprit r��veuse et que son jeune age n'��tait pas environn�� de tendresse, il s'accoutuma de bonne heure �� voir les choses avec sens, s��v��rit�� et brusquerie mordante. On le mit bient?t au coll��ge, o�� il achevait sa quatri��me, lorsqu'il fut attaqu�� de la pierre; il fallut le tailler, et l'op��ration faite en apparence avec succ��s lui laissa cependant pour le reste de sa vie une tr��s-grande incommodit��. Au coll��ge, Boileau lisait, outre les auteurs classiques, beaucoup de po?mes modernes, de romans, et, bien qu'il composat lui-m��me, selon l'usage des rh��toriciens, d'assez mauvaises trag��dies, son go?t et son talent pour les vers ��taient d��j�� reconnus de ses ma?tres. En sortant de philosophie, il fut mis au droit; son p��re mort, il continua de demeurer chez son fr��re J��r?me qui avait h��rit�� de la charge de greffier, se fit recevoir avocat, et bient?t, las de la chicane, il s'essaya �� la th��ologie sans plus de go?t ni de succ��s. Il n'y obtint qu'un b��n��fice de 800 livres qu'il r��signa apr��s quelques ann��es de jouissance, au profit, dit-on, de la demoiselle Marie Poncher de Bretouville qu'il avait aim��e et qui se faisait religieuse. A part cet attachement, qu'on a m��me r��voqu�� en doute, il ne semble pas que la jeunesse de Despr��aux ait ��t�� fort passionn��e, et lui-m��me convient qu'il est tr��s-peu voluptueux. Ce petit nombre de faits connus sur les vingt-quatre premi��res ann��es de sa vie nous m��nent jusqu'en 1660, ��poque o�� il d��bute dans le monde litt��raire par la publication de ses premi��res satires.
Les circonstances ext��rieures ��tant donn��es, l'��tat politique et social ��tant connu, on con?oit quelle dut ��tre sur une nature comme celle de Boileau l'influence de cette premi��re ��ducation, de ces habitudes domestiques et de tout cet int��rieur. Rien de tendre, rien de maternel autour de cette enfance infirme et st��rile; rien pour elle de bien inspirant ni de bien sympathique dans toutes ces conversations de chicane aupr��s du fauteuil du vieux greffier, rien qui touche, qui enl��ve et fasse qu'on s'��crie avec Ducis: ?Oh! que toutes ces pauvres maisons bourgeoises rient �� mon coeur!?
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