Portraits litteraires, Tome I | Page 2

C.-A. Sainte-Beuve
fils, ou �� l'histoire philosophique des Deux-Indes, les belles dames, les philosophes et les g��om��tres avaient pris Boileau en grande aversion[2]. Pourtant, malgr�� leurs ��pigrammes et leurs demi-sourires, sa renomm��e litt��raire r��sista et se consolida de jour en jour. Le Po��te du bon sens, le l��gislateur de notre Parnasse garda son rang supr��me. Le mot de Voltaire, Ne disons pas de mal de Nicolas, cela porte malheur, fit fortune et passa en proverbe; les id��es positives du XVIIIe si��cle et la philosophie condillacienne, en triomphant, sembl��rent marquer d'un sceau plus durable la renomm��e du plus sens��, du plus logique et du plus correct des po?tes. Mais ce fut surtout lorsqu'une ��cole nouvelle s'��leva en litt��rature, lorsque certains esprits, bien peu nombreux d'abord, commenc��rent de mettre en avant des th��ories inusit��es et les appliqu��rent dans des oeuvres, ce fut alors qu'en haine des innovations on revint de toutes parts �� Boileau comme �� un anc��tre illustre et qu'on se rallia �� son nom dans chaque m��l��e. Les acad��mies propos��rent �� l'envi son ��loge: les ��ditions de ses oeuvres se multipli��rent; des commentateurs distingu��s, MM. Viollet-le-Duc, Amar, de Saint-Surin, l'environn��rent des assortiments de leur go?t et de leur ��rudition; M. Daunou en particulier, ce v��n��rable repr��sentant de la litt��rature et de la philosophie du XVIIIe si��cle, rangea autour de Boileau, avec une sorte de pi��t��, tous les faits, tous les jugements, toutes les apologies qui se rattachent �� cette grande cause litt��raire et philosophique. Mais, cette fois, le concert de si dignes efforts n'a pas suffisamment prot��g�� Boileau contre ces id��es nouvelles, d'abord obscures et d��cri��es, mais croissant et grandissant sous les clameurs. Ce ne sont plus en effet, comme au XVIIIe si��cle, de piquantes ��pigrammes et des personnalit��s moqueuses; c'est une forte et s��rieuse attaque contre les principes et le fond m��me de la po��tique de Boileau; c'est un examen tout litt��raire de ses inventions et de son style, un interrogatoire s��v��re sur les qualit��s de po?te qui ��taient ou n'��taient pas en lui. Les ��pigrammes m��me ne sont plus ici de saison; on en a tant fait contre lui en ces derniers temps, qu'il devient presque de mauvais go?t de les r��p��ter. Nous n'aurons pas de peine �� nous les interdire dans le petit nombre de pages que nous allons lui consacrer. Nous ne chercherons pas non plus �� instruire un proc��s r��gulier et �� prononcer des conclusions d��finitives. Ce sera assez pour nous de causer librement de Boileau avec nos lecteurs, de l'��tudier dans son intimit��, de l'envisager en d��tail selon notre point de vue et les id��es de notre si��cle, passant tour �� tour de l'homme �� l'auteur, du bourgeois d'Auteuil au po?te de Louis le Grand, n'��ludant pas �� la rencontre les graves questions d'art et de style, les ��claircissant peut-��tre quelquefois sans pr��tendre jamais les r��soudre. Il est bon, �� chaque ��poque litt��raire nouvelle, de repasser en son esprit et de revivifier les id��es qui sont repr��sent��es par certains noms devenus sacramentels, d?t-on n'y rien changer, �� peu pr��s comme �� chaque nouveau r��gne on refrappe monnaie et on rajeunit l'effigie sans alt��rer le poids.
[Note 2: Rien ne saurait mieux donner id��e du degr�� de d��faveur que la r��putation de Boileau encourait �� un certain moment, que de voir dans l'excellent recueil intitul�� l'Esprit des Journaux (mars 1785, page 243) le passage suivant d'un article sur l'��p?tre en vers, adress�� de Montpellier aux r��dacteurs du journal; ce passage, �� mon sens, par son incidence m��me et son hasard tout naturel, exprime mieux l'��tat de l'opinion courante que ne le ferait un jugement formel: ?Boileau, est-il dit, qui vint ensuite (apr��s Regnier), mit dans ce qu'il ��crivit en ce genre la raison en vers harmonieux et pleins d'images: c'est du plus c��l��bre po?te de ce si��cle que nous avons emprunt�� ce jugement sur les ��p?tres de Boileau, parce qu'une infinit�� de personnes dont l'autorit�� n'est point �� m��priser, affectant aujourd'hui d'en juger plus d��favorablement, nous avons craint, en nous ��levant contre leur opinion, de mettre nos erreurs �� la place des leurs.? Que de pr��cautions pour oser louer!]
De nos jours, une haute et philosophique m��thode s'est introduite dans toutes les branches de l'histoire. Quand il s'agit de juger la vie, les actions, les ��crits d'un homme c��l��bre, on commence par bien examiner et d��crire l'��poque qui pr��c��da sa venue, la soci��t�� qui le re?ut dans son sein, le mouvement g��n��ral imprim�� aux esprits; on reconna?t et l'on dispose, par avance, la grande sc��ne o�� le personnage doit jouer son r?le; du moment qu'il intervient, tous les d��veloppements de sa force, tous les obstacles, tous les contrecoups sont pr��vus, expliqu��s, justifi��s; et de ce spectacle harmonieux il r��sulte par degr��s, dans l'ame du lecteur, une satisfaction pacifique o�� se repose l'intelligence. Cette m��thode ne triomphe jamais avec une
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