à Patru et à M. de Bussy, à M. Daguesseau et à madame de Sévigné, à M. Arnauld et à madame de Maintenon, pour imposer aux jeunes courtisans, pour agréer aux vieux, pour être estimé de tous honnête homme et d'un mérite solide. C'est le poète-auteur, sachant converser et vivre[5], mais véridique, irascible à l'idée du faux, prenant feu pour le juste, et arrivant quelquefois par sentiment d'équité littéraire à une sorte d'attendrissement moral et de rayonnement lumineux, comme dans son ép?tre à Racine[6]. Celui-ci représente très-bien le c?té tendre et passionné de Louis XIV et de sa cour; Boileau en représente non moins parfaitement la gravité soutenue, le bon sens probe relevé de noblesse, l'ordre décent. La littérature et la poétique de Boileau sont merveilleusement d'accord avec la religion, la philosophie, l'économie politique, la stratégie et tous les arts du temps: c'est le même mélange de sens droit et d'insuffisance, de vues provisoirement justes, mais peu décisives.
[Note 5: Voir l'agréable conversation entre Despréaux, Racine, M. Daguesseau, l'abbé Renaudot, etc., etc., écrite par Valincour et publiée par Adry, à la fin de son édition de la Princesse de Clèves (1807).--Le fait est que Boileau, de bonne heure en possession du sceptre, passa la très-grande moitié de sa vie à converser et à tenir tête à tout venant: ?Il est heureux comme un roi (écrivait Racine, 1698), dans sa solitude ou plut?t son h?tellerie d'Auteuil. Je l'appelle ainsi, parce qu'il n'y a point de jour où il n'y ait quelque nouvel écot, et souvent deux ou trois qui ne se connoissent pas trop les uns les autres. Il est heureux de s'accommoder ainsi de tout le monde; pour moi, j'aurois cent fois vendu la maison.? Ce qui pourtant explique qu'à la fin Boileau, devenu morose, l'ait vendue.]
[Note 6: ?La raison, dit Vauvenargues, n'était pas en Boileau distincte du sentiment.? Mademoiselle de Meulan (depuis madame Guizot) ajoute: ?C'était, en effet, jusqu'au fond du coeur que Boileau se sentait saisi de la raison et de la vérité. La raison fut son génie; c'était en lui un organe délicat, prompt, irritable, blessé d'un mauvais sens comme une oreille sensible l'est d'un mauvais son, et se soulevant comme une partie offensée sit?t que quelque chose venait à la choquer.? Cette même raison si sensible, qui lui inspirait, nous dit-il, dès quinze ans, la haine d'un sot livre, lui faisait bénir son siècle après Phèdre.]
Il réforma les vers, mais comme Colbert les finances, comme Pussort le code, avec des idées de détail. Brossette le comparait à M. Domat qui restaura la raison dans la jurisprudence. Racine lui écrivait du camp près de Namur: ?La vérité est que notre tranchée est quelque chose de prodigieux, embrassant à la fois plusieurs montagnes et plusieurs vallées avec une infinité de tours et de retours, autant presque qu'il y a de rues à Paris.? Boileau répondait d'Auteuil, en parlant de la Satire des Femmes qui l'occupait alors: ?C'est un ouvrage qui me tue par la multitude des transitions, qui sont, à mon sens, le plus difficile chef-d'oeuvre de la poésie.? Boileau faisait le vers à la Vauban; les transitions valent les circonvallations; la grande guerre n'était pas encore inventée. Son ép?tre sur le passage du Rhin est tout à fait un tableau de Van der Meulen. On a appelé Boileau le janséniste de notre poésie; janséniste est un peu fort, gallican serait plus vrai. En effet, la théorie poétique de Boileau ressemble souvent à la théorie religieuse des évêques de 1682; sage en application, peu conséquente aux principes. C'est surtout dans la querelle des anciens et des modernes et dans la polémique avec Perrault, que se trahit cette infirmité propre à la logique du sens commun. Perrault avait reproché à Homère une multitude de mots bas, et les mots bas, selon Longin et Boileau, sont autant de marques honteuses qui flétrissent l'expression. Jaloux de défendre Homère, Boileau, au lieu d'accueillir bravement la critique de Perrault et d'en décorer son po?te à titre d'éloge, au lieu d'oser admettre que la cour d'Agamemnon n'était pas tenue à la même étiquette de langage que celle de Louis le Grand, Boileau se rejette sur ce que Longin, qui reproche des termes bas à plusieurs auteurs et à Hérodote en particulier, ne parle pas d'Homère: preuve évidente que les oeuvres de ce po?te ne renferment point un seul terme bas, et que toutes ses expressions sont nobles. Mais voilà que, dans un petit traité, Denis d'Halicarnasse, pour montrer que la beauté du style consiste principalement dans l'arrangement des mots, a cité l'endroit de l'Odyssée où, à l'arrivée de Télémaque, les chiens d'Eumée n'aboient pas et remuent la queue; sur quoi le rhéteur ajoute que c'est bien ici l'arrangement et non le choix des mots qui fait l'agrément; car, dit-il, la plupart des mots employés sont
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